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Interview suivante de Sheila Zhao par Yuhui Liao-Fan.

 

Yuhui Liao-Fan : Qu’est ce que c’est « la photographie » pour vous ?

Sheila Zhao : La photographie est un métier qui appartient à son propre monde. La photographie me permet de traduire visuellement et de partager la façon dont je vois le monde.

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Yuhui Liao-Fan : Est-ce que vous pouvez écrire une introduction biographique ?

Sheila Zhao : Je suis née à Pékin en 1983 et j’ai passé la première partie de mon enfance en Chine. À l’âge de 7 ans, j’ai suivi mes parents aux États-Unis, où ils ont travaillé et essayé de s’implanter. J’ai passé le reste de mon enfance et adolescence dans le New Jersey où j’allais à l’école secondaire. J’ai continué mes études à l’Université d’Indiana (avec de nombreux voyages entre la Chine et les États-Unis). J’ai obtenu mon diplôme en journalisme, en me spécialisant dans les relations publiques. Ensuite, je suis revenue en Chine pour un stage d’une durée de trois mois à General Motors de Pékin. Durant ces trois mois, j’ai beaucoup apprécié la vivacité de la ville de Pékin, j’ai donc décidé d’y rester et de trouver un poste dans une agence de relations publiques internationales.

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Yuhui Liao-Fan : Quel est votre histoire de photographe ?

Sheila Zhao : Après avoir travaillé pendant un an et demi dans une agence de relations publiques, j’ai réalisé que cet emploie ne me procurait aucune satisfaction et que je n’était pas heureuse de travailler dans ce domaine. Mon esprit a commencé à dériver et à travers une série de coïncidences, j’ai pris la très impétueuse décision de devenir photographe à temps-plein.

Yuhui Liao-Fan : Je pense que vous avez fait un choix courageux. Beaucoup de gens sont effrayés par l’incertitude d’une profession créative, qui de plus est souvent vue comme difficile et précaire. Comment est-ce que votre entourage a réagi face à votre décision? Est-ce que ils vous ont encouragée ou ont-ils essayé de vous dissuader?

Sheila Zhao : Je vous remercie. Encore une fois, je tiens à souligner que, lorsque j’ai décidé de changer de métier, j’étais encore très jeune, sans expérience, sans formation adéquate en photographie et sans aucune attente réaliste. Par conséquence, la décision que j’ai prise d’aller faire carrière dans le milieu de la photographie a été, rétrospectivement, très impétueuse et irresponsable. Bien que je n’ai pas de regrets sur ce que j’ai fait et que je suis très reconnaissante pour tout ce que j’ai appris et acquis de cette décision, je ne conseille à personne de faire les choses de la manière dont je les ai faites. Cela dit, je suis également très heureuse d’avoir eu un solide réseau de soutien. Mes parents ne sont pas enthousiasmés -et ne l’ont jamais été- par mon choix de carrière, mais je suis très reconnaissante qu’à la fin de la journée, ils sont les personnes les plus patientes avec moi et ils font partie des gens qui me soutiennent le plus.

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Yuhui Liao-Fan : Pouvez vous décrire votre travail ? Comment définiriez vous vos photographies ?

Sheila Zhao : Ma photographie est toujours en évolution et j’apprends en permanence (je suis autodidacte, et il y a beaucoup à apprendre !). Les travaux de mes débuts n’ont rien à voir avec ce que je fais maintenant. Mon travail personnel en cours est un peu difficile à expliquer, surtout que je viens à peine de le commencer en début de cette année et j’en suis encore au stade d’essayer de le comprendre moi même. Très globalement, je pense qu’on peut le décrire comme une série de photos où je tente d’exprimer un ensemble similaire d’émotions communes, au sein d’une variété de situations et des contextes différents.

Yuhui Liao-Fan : Est-ce que vous pouvez dire quelque mots sur votre technique ?

Sheila Zhao : En ce qui concerne mon travail personnel en cours, je photographie en pellicule noir et blanc et je fais de la retouche numérique par la suite.

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Yuhui Liao-Fan : Est-ce que les aspects techniques que vous venez d’évoquer sont importants ou ce qui compte n’est que le résultat final ?

Sheila Zhao : Personnellement, je pense que le contenu est toujours plus important que le matériel utilisé. Bien sûr, cela ne veut pas dire que l’aspect technique n’est pas important du tout. Chaque décision que vous prenez, du début à la fin, aura un impact sur le rendu final de l’image. Toutefois, il ne faut pas toujours se baser sur un effet sympa, un filtre de post-production assez cool, ou se confiner dans les normes traditionnelles de ce qu’est une « bonne » image afin de créer une image percutante. Pour moi, à la fin de la journée, une « bonne » image doit montrer clairement ce que le photographe tente d’exprimer ainsi que un peu de la vulnérabilité du photographe même.

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Yuhui Liao-Fan : Pouvez-vous approfondir un peu plus le discours à propos de votre travail personnel récent ? S’agit-il d’un projet précis ou d’un journal visuel quotidien? Quel est selon vous l’ intérêt de ce thème actuel ?

Sheila Zhao : Je viens de commencer une nouvelle série de travaux personnels en début de cette année. Il est difficile pour moi de lui donner un sens maintenant, alors que je suis toujours en phase initiale de ce nouveau voyage ; par conséquence je suis encore moins en mesure de fournir une explication articulée. Je trébuche pas mal sur ce travail. J’ai eu l’idée d’aller rendre visite à un ami à Pusan, en Corée. Nous sommes allés visiter le fameux marché aux poissons de Pusan, juste pour le plaisir. J’y ai impressionné un rouleau de film. Quand j’ai fait développer le film, certaines photos m’ont plu, j’ai alors décidé de continuer à photographier les poissons et d’autres animaux d’origine aquatique présents sur le marché aux poissons. Par une autre coïncidence, j’ai du aller au Japon un mois après Pusan. J’ai passé environ cinq jour à Tokyo et il m’est arrivée d’habiter à quatre pas du marché aux poissons de Tsukiji et de photographier tout ce que j’ai vu là-bas. Cependant, ce n’est que récemment que j’ai réalisé que ces photos que j’avais prises étaient bien plus que des simples photos de poissons. La chose importante est de savoir comment j’ai interprété la situation, le sentiment dégagé par les images, et qu’est-ce-que ces images signifient pour moi. Actuellement, je travaille pour compléter cette série.

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Yuhui Liao-Fan : Comment abordez-vous les gens ? Est-ce que vous leur demandez l’autorisation avant de les photographier ou vous essayez de les photographier sans vous faire remarquer ?

Sheila Zhao : Chaque situation est différente. De manière générale, je n’aime pas être trop intrusive. De plus, je suis un peu peureuse et je deviens extrêmement timide à l’approche des gens qui me sont étrangers. Je m’améliore avec le temps, mais c’est quand même un gros problème pour moi. Idéalement, j’aimerais que les gens ne me vois pas ou sinon avoir déjà établi un élément de confiance avec les gens que je prends en photos, mais bien sûr ce n’est pas possible tout le temps. Je pense que l’on doit apprendre comment travailler avec chaque situation et ces limites.

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Yuhui Liao-Fan: Est-ce vous pensez qu’en Chine vous avez la liberté de prendre des photos de tout ce que vous voulez ou certains sujets sont hors de portée ? Je suis en train de penser aux réaction négatives des gents ainsi que aux éventuelles pressions exercées par les autorités. Avez-vous déjà vécu quelque chose de similaire ?

Sheila Zhao : Comme la plupart des pays du monde, la Chine a ses restrictions. Les conséquences sur un photographes dépendent de l’intention du photographe même et de la façon dont il aborde le sujet. Le travail de photo-journaliste en Chine est le plus concerné, je pense que cela est directement du à la nature de ce travail. Cela dit, il y a d’autres photographes et artistes qui font valoir leur point de vue à travers la photographie avec subtilité et de façon créative. Par exemple, Ai Weiwei a fait une série de photographies dans laquelle il a montré du doigt dans les divers sites célèbres du monde entier comme la Maison-Blanche, la Tour Eiffel et la place Tian An Men.

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Yuhui Liao-Fan : Lorsque vous travaillez en Chine, pensez-vous que le fait d’être chinoise et donc d’avoir une certaine invisibilité par rapport à un photographe étranger est un atout majeur ?

Sheila Zhao : Oui et non. Être chinois (ou avoir une allure asiatique) vous fait moins ressortir dans une foule. Les gens remarqueront un occidental avec une grosse caméra bien avant que je me fasse repérer. Cependant, l’avantage d’être un photographe étranger en Chine, c’est que certaines personnes baissent plus rapidement la garde, parce qu’ils ne voient pas l’étranger comme une menace. Ils partent du principe que les étrangers ne parlent pas chinois et donc cherchent moins à se chamailler avec le photographe.

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Yuhui Liao-Fan : Est-ce que d’après vous le fait d’être une femme modifie la réaction des gens quand vous les prenez en photos ? Pensez-vous que la photographie peut vous mettre, en tant que femme, dans des contextes difficiles ou -selon vous- le danger est le même pour tout le monde ? Avez-vous déjà rencontré ce genre de situation ?

Sheila Zhao : Lorsque je travaille, j’essaie de ne pas penser à mon genre, ou aux conséquences que peuvent être liées au sujet du mon genre. Il se pourrait que la situation soit différente si je travaille sur des images qui posent la question du genre, mais ça n’a pas été la cas jusqu’à présent et mes travaux actuels ne portent pas sur ce sujet non plus, donc je essaie de ne pas y penser, j’essaie d’écouter davantage mon instinct. Encore une fois, selon le contexte et la situation, le sexe peut être à la fois un avantage et un inconvénient. Pour utiliser un autre exemple du photo-journalisme : les photographes masculins pourraient travailler plus facilement dans des milieux où le taux de testostérone est très élevé, principalement lorsque la situation est dominée par les hommes. Toutefois, les chances de photographier dans des situations où les femmes sont hautement surveillées et isolées, est mince (comme dans des moments « derrière le voile » avec certains groupes de femmes musulmanes). Les photographes femmes sont généralement moins considérées comme une menace tandis que les photographes de sexe masculin sont généralement pris plus au sérieux par diverses entités non photographiques. Ainsi, les deux genre ont leurs avantages et inconvénients, on a juste besoin d’apprendre à travailler avec sa propre particularité.

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Yuhui Liao-Fan : Pensez-vous que vos origines chinoises et votre milieu culturel d’origine sont importants dans votre travail photographique ainsi que dans votre vision esthétique ?

Sheila Zhao : Pas consciemment. J’ai entendu dire par d’autres amis photographe non Chinois que le style général de la photographie chinoise est calme et subtile. Certains de mes travaux antérieurs rentrent dans cette catégorie, même si ceci n’est pas du tout fait exprès. Peut-être que c’est en raison d’un milieu culturel similaire? Qui sait.

Yuhui Liao-Fan : Est-ce que vous avez un vœu ou un rêve photographique, tant pour ce qui vous concerne que pour la photographie contemporaine chinoise ?

Sheila Zhao : Je voudrais apprendre à me laisser aller, à laisser mon instinct et ma passion guider mon travail.

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Yuhui Liao-Fan : Est-ce qu’en Chine, il est fondamentale de vivre dans une très grande ville comme Pékin ou Shanghai ou -par exemple grâce à internet- la ville dans la quelle on habite n’est plus un choix obligé ?

Sheila Zhao : Je pense que vous pouvez vivre n’importe où vous vous sentez à l’aise, que ce soit une grande ville ou une petite ville. Personnellement, je suis une fille de grande ville et je ne saurais pas quoi faire si je reste coincée à la campagne pour longtemps !

Yuhui Liao-Fan : Est-ce que vous pensez que c’est important d’avoir un site internet ou un blog ? Est-ce que il est est fondamental qu’il soit traduit en diverses langues par exemple en anglais ? Comment internet contribue à la diffusion de la photographie contemporaine chinoise ?

Sheila Zhao : Ce n’est pas un impératif, mais avoir un site web ne pourra pas faire de mal. Bien sûr, il est important que la langue du site web soit dans une langue internationale largement utilisée, mais peu importe, ce qui compte est que le photographe obtiens ce qu’il veut veut. Enfin de compte, la question si un(e) photographe a besoin d’un site dépend seulement de ses intentions.

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Yuhui Liao-Fan : Comment la photographie chinoise a évolué au cours des dernières années ? Comment décririez vous l’histoire récente de la photographie en Chine ?

Sheila Zhao : Tout le monde a un appareil photo maintenant! Un grand nombre de photographes amateurs ont un meilleur matériel que moi. Je pense que comme en Occident, il y a un afflux massif de contenu et la Chine commence a être confrontée à la même situation que l’Occident en ce qui concerne le droit d’utilisation, le droit d’auteur, etc.

Yuhui Liao-Fan : Comment vous décrivez le milieu artistique et photographique en Chine ? Est-ce qu’il y a souvent des expositions, des festivals, des manifestations, etc ? Qu’en est-il de la photographie commerciale?

Sheila Zhao : Le milieu est prometteurs et en croissance, même si je ne pense pas que la scène photographique chinoise soit aussi mature que dans d’autres pays d’Asie. Je pense certainement qu’elle se développera davantage, la limite s’arrête au ciel. Je suis sûre qu’il y a beaucoup de photographes qui font du travail intéressant. Il y a aussi des expositions de photographies à Pékin, ainsi que divers festivals photo partout en Chine, tels que Caochangdi Photo Printemps, Pingyao, etc.

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Yuhui Liao-Fan : Quels sont les pays que vous venez de citer ? Selon vous, comment la Chine peut et doit faire pour combler l’écart et améliorer la situation ?

Sheila Zhao : Le Japon a une histoire riche en photographie et de là venaient certains maîtres de la photographie que je vénère, comme Daido Moriyama, Masahisa Fukase, Shomei Tomatsu, etc. Dans les pays d’Asie du Sud comme l’Inde et le Bangladesh, actuellement il y a aussi de jeunes photographes très talentueux. Je pense qu’il y a beaucoup de talents en Chine, mais la culture générale et la sensibilité ne sont pas aussi raffinées. Sur le plan collectif, je pense qu’une partie de cela est du au manque de contact avec des travaux de haute qualité et de guide par les maîtres internationaux de la photographie. L’histoire récente et la façon dont le pays se développe actuellement influencent sans doute le développement de la photographie en Chine. Mais je pense que chaque chose nécessite son temps. Les festivals internationaux de la photographie offrent d’immenses opportunités pour toutes les personnes impliquées, et je pense que qu’il faudrait en organiser davantage.

Yuhui Liao-Fan : Quelques noms de photographes chinois que vous appréciez particulièrement et pourquoi ?

Sheila Zhao : Récemment un collègue m’a envoyé le travail d’un photographe chinois Qiu, que j’ai vraiment aimé. Son travail me rappelle la dureté des images des photographes tels que Daido Moriyama, mais on y trouve également un sens de fantaisie subtile.

 

Pour plus d’informations et de photos lisez Shifting Focus: China Roads (en Anglais) ou visitez le site de Sheila Zhao.

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