Photo de Sophie Tramier (11)
© Sophie Tramier

Texte de Héléna Bastais, photos de Sophie Tramier.

 

« Les images conçues pour les yeux, puisqu’elles sont des leurres, sont proches des machinations du rêve. »

Marc Le Bot, in « L’œil du peintre »

Si ce grand genre de l’histoire de l’art qu’est la nature morte a connu une renaissance formelle considérable au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, le fond demeure souvent lié à l’idée de vanité : arrêter le temps et en montrer le passage, donner à la fugacité de la vie un sens nouveau par son prolongement dans la représentation artistique et rendre la fragilité des choses.

Photo de Sophie Tramier (9)
© Sophie Tramier

La représentation de la nourriture, très présente dans l’art moderne et contemporain, réinvente profondément ce genre par les formes qui lui sont données. Magritte, dès 1936-37, dans Ceci est un morceau de fromage, place une représentation peinte du fromage sous une vraie cloche en verre, créant ainsi un dialogue perturbateur entre le réel et ce qui le symbolise. Avec l’avènement de la société de consommation, la nourriture va souvent être prise pour modèle, comme avec le Pop art qui s’empare de la vie quotidienne et en représente les produits de consommation phares qui deviennent ainsi des icônes.

Photo de Sophie Tramier (10)
© Sophie Tramier

Le travail photographique de Sophie Tramier s’appuie sur la beauté des choses qui nous entourent, sur cette perfection du monde visible, mais avec une recherche de spiritualisation du réel en mettant en avant la poésie de l’inanimé et la sensualité de la matière. De la même façon que les cabinets de curiosités regroupaient toutes sortes d’objets notables et hétéroclites assemblés selon le goût de leur possesseur, les sujets des photographies de Sophie Tramier lui permettent d’opérer un travail sur la mémoire à partir de ce qui l’entoure. Son œuvre se déploie dans plusieurs directions (matière, mouvement, lumière…) mais toujours avec un grand souci de la mise en scène. Ses poissons posés là semblent se jouer des objets qui vont les torturer, ses langoustines délicatement accrochées à un arbre comme de corail sont vues dans un autre élément que celui aquatique d’où elles proviennent. Cette organisation plastique pleine d’humour fonctionne grâce à l’extrême qualité de ses photographies et son sens de la couleur quasi pictural. La force de son travail photographique est également liée à la précision de sa technique, ainsi qu’à son mode opératoire. Habituée à travailler avec l’argentique, elle a abordé la photographie numérique en gardant ses repères, en l’occurrence, une profondeur et une richesse de rendu de la matière, le grain velouté et les effets de clair-obscur de la lumière naturelle qu’elle utilise de façon exclusive.

Photo de Sophie Tramier (8)
© Sophie Tramier

Dans sa dernière série d’œuvres regroupées sous le titre de White & Black Drama, elle laisse son inspiration et son imagination se développer à partir d’un double cadre. Le cadre de la prise de vue, mais aussi celui des boîtes dans lesquels elle place les objets de son cabinet de curiosités. Jeu sur la boîte dans la boîte dans la boîte …, jeu de perte de repères de perspective et de profondeur, de fausse tridimensionnalité, perte de repères également du regardeur pour ce qui relève de la photographie, de la peinture ou de la sculpture. Elle prend ainsi le contrepied de la réalité photographique en travestissant les techniques mais également les choses auxquelles elle donne un nouveau rôle, un symbolisme déguisé, une autre histoire.

Photo de Sophie Tramier (7)
© Sophie Tramier

Ses mises en scène reposent sur une temporalité complexe : le moment présent arrêté par la photo précédé du long travail préparatoire sur les objets et sur la boîte. D’où l’aspect théâtral de cette série qui est dans une continuité évidente avec son travail photographique précédent dans lequel elle cherche toujours à faire raconter quelque chose à ses sujets en les plaçant dans des situations inusitées et ambigües.

Photo de Sophie Tramier (6)
© Sophie Tramier

Ces photographies sont tirées sur un papier qui s’approche du papier aquarelle qui renforce leur qualité picturale et la finesse des nuances de couleurs, éclairant en cela comment elle compose chaque photographie comme un tableau, autant dans le choix des lignes de fuites que dans celui de forces en présence qui s’équilibrent par les couleurs.

Photo de Sophie Tramier (5)
© Sophie Tramier
Photo de Sophie Tramier (4)
© Sophie Tramier

Dans cette série, Sophie Tramier montre une affinité avec l’idée de trahison des objets représentés (l’objet peint n’est pas l’objet mais l’est quand même) qui est développée dans l’œuvre de Magritte, et ce d’autant plus que le mélange des techniques qui précède la prise de vue finale brouille la réalité perçue. Comme Magritte, elle s’intéresse au pouvoir évocateur des choses deux fois inanimées, dans leur existence achevée mais aussi dans leur confinement intemporel dans l’œuvre. Si elle perche son oiseau sur la branche d’un arbre à une feuille et l’emprisonne derrière une cage légère, elle lui offre cependant un autre espace de liberté avec la clef sur laquelle il repose, qui pourrait bien être la clé des songes.

Photo de Sophie Tramier (3)
© Sophie Tramier

Les détournements qu’elle opère avec les objets/sujets de ses natures mortes, l’assemblage d’éléments hétéroclites dans ses boîtes, sont comme un clin d’œil à Man Ray et Picabia. Dans les photographies de Sophie Tramier, il y a toujours ce moment magique où l’idéal vient heurter la réalité.

Photo de Sophie Tramier (2)
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Photo de Sophie Tramier (1)
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