Contribution – Camera Obscura /fr A blog/magazine dedicated to photography and contemporary art Fri, 22 Jan 2016 13:24:38 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.4.3 Sophie Tramier: une autre vision de la nature morte /fr/2015/nature-morte-sophie-tramier/ /fr/2015/nature-morte-sophie-tramier/#respond Thu, 11 Jun 2015 19:41:14 +0000 /?p=9431 Related posts:
  1. Interview avec Sophie Tramier
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Photo de Sophie Tramier (11)
© Sophie Tramier
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Texte de Héléna Bastais, photos de Sophie Tramier.

 

« Les images conçues pour les yeux, puisqu’elles sont des leurres, sont proches des machinations du rêve. »

Marc Le Bot, in « L’œil du peintre »

Si ce grand genre de l’histoire de l’art qu’est la nature morte a connu une renaissance formelle considérable au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, le fond demeure souvent lié à l’idée de vanité : arrêter le temps et en montrer le passage, donner à la fugacité de la vie un sens nouveau par son prolongement dans la représentation artistique et rendre la fragilité des choses.

Photo de Sophie Tramier (9)
© Sophie Tramier
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La représentation de la nourriture, très présente dans l’art moderne et contemporain, réinvente profondément ce genre par les formes qui lui sont données. Magritte, dès 1936-37, dans Ceci est un morceau de fromage, place une représentation peinte du fromage sous une vraie cloche en verre, créant ainsi un dialogue perturbateur entre le réel et ce qui le symbolise. Avec l’avènement de la société de consommation, la nourriture va souvent être prise pour modèle, comme avec le Pop art qui s’empare de la vie quotidienne et en représente les produits de consommation phares qui deviennent ainsi des icônes.

Photo de Sophie Tramier (10)
© Sophie Tramier
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Le travail photographique de Sophie Tramier s’appuie sur la beauté des choses qui nous entourent, sur cette perfection du monde visible, mais avec une recherche de spiritualisation du réel en mettant en avant la poésie de l’inanimé et la sensualité de la matière. De la même façon que les cabinets de curiosités regroupaient toutes sortes d’objets notables et hétéroclites assemblés selon le goût de leur possesseur, les sujets des photographies de Sophie Tramier lui permettent d’opérer un travail sur la mémoire à partir de ce qui l’entoure. Son œuvre se déploie dans plusieurs directions (matière, mouvement, lumière…) mais toujours avec un grand souci de la mise en scène. Ses poissons posés là semblent se jouer des objets qui vont les torturer, ses langoustines délicatement accrochées à un arbre comme de corail sont vues dans un autre élément que celui aquatique d’où elles proviennent. Cette organisation plastique pleine d’humour fonctionne grâce à l’extrême qualité de ses photographies et son sens de la couleur quasi pictural. La force de son travail photographique est également liée à la précision de sa technique, ainsi qu’à son mode opératoire. Habituée à travailler avec l’argentique, elle a abordé la photographie numérique en gardant ses repères, en l’occurrence, une profondeur et une richesse de rendu de la matière, le grain velouté et les effets de clair-obscur de la lumière naturelle qu’elle utilise de façon exclusive.

Photo de Sophie Tramier (8)
© Sophie Tramier
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Dans sa dernière série d’œuvres regroupées sous le titre de White & Black Drama, elle laisse son inspiration et son imagination se développer à partir d’un double cadre. Le cadre de la prise de vue, mais aussi celui des boîtes dans lesquels elle place les objets de son cabinet de curiosités. Jeu sur la boîte dans la boîte dans la boîte …, jeu de perte de repères de perspective et de profondeur, de fausse tridimensionnalité, perte de repères également du regardeur pour ce qui relève de la photographie, de la peinture ou de la sculpture. Elle prend ainsi le contrepied de la réalité photographique en travestissant les techniques mais également les choses auxquelles elle donne un nouveau rôle, un symbolisme déguisé, une autre histoire.

Photo de Sophie Tramier (7)
© Sophie Tramier
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Ses mises en scène reposent sur une temporalité complexe : le moment présent arrêté par la photo précédé du long travail préparatoire sur les objets et sur la boîte. D’où l’aspect théâtral de cette série qui est dans une continuité évidente avec son travail photographique précédent dans lequel elle cherche toujours à faire raconter quelque chose à ses sujets en les plaçant dans des situations inusitées et ambigües.

Photo de Sophie Tramier (6)
© Sophie Tramier
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Ces photographies sont tirées sur un papier qui s’approche du papier aquarelle qui renforce leur qualité picturale et la finesse des nuances de couleurs, éclairant en cela comment elle compose chaque photographie comme un tableau, autant dans le choix des lignes de fuites que dans celui de forces en présence qui s’équilibrent par les couleurs.

Photo de Sophie Tramier (5)
© Sophie Tramier
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Photo de Sophie Tramier (4)
© Sophie Tramier
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Dans cette série, Sophie Tramier montre une affinité avec l’idée de trahison des objets représentés (l’objet peint n’est pas l’objet mais l’est quand même) qui est développée dans l’œuvre de Magritte, et ce d’autant plus que le mélange des techniques qui précède la prise de vue finale brouille la réalité perçue. Comme Magritte, elle s’intéresse au pouvoir évocateur des choses deux fois inanimées, dans leur existence achevée mais aussi dans leur confinement intemporel dans l’œuvre. Si elle perche son oiseau sur la branche d’un arbre à une feuille et l’emprisonne derrière une cage légère, elle lui offre cependant un autre espace de liberté avec la clef sur laquelle il repose, qui pourrait bien être la clé des songes.

Photo de Sophie Tramier (3)
© Sophie Tramier
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Les détournements qu’elle opère avec les objets/sujets de ses natures mortes, l’assemblage d’éléments hétéroclites dans ses boîtes, sont comme un clin d’œil à Man Ray et Picabia. Dans les photographies de Sophie Tramier, il y a toujours ce moment magique où l’idéal vient heurter la réalité.

Photo de Sophie Tramier (2)
© Sophie Tramier
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Photo de Sophie Tramier (1)
© Sophie Tramier
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Inteview avec Jorge Amat par Jean Streff /fr/2013/jorge-amat/ /fr/2013/jorge-amat/#respond Sat, 05 Oct 2013 12:00:55 +0000 /?p=8475 Related posts:
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Photo de Jorge Amat (15)
© Jorge Amat
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Photographies de Jorge Amat, texte de Jorge Amat et Jean Streff.

 

Jean Streff : Est-ce que tu me peux parler de tes premières photos?
Qu’est ce que tu montrais?

Jorge Amat : Ce qui m’a toujours plu, c’est de mettre en scène des idées, des situations par rapport à des objets, des lieux… Par exemple une des premières photos intéressantes que j’ai faite dans mon premier studio rue Ferdinand Duval est venu d’un morceau de tronc d’arbre qui m’a fait penser à un billot. Après, aux puces de Montreuil, j’ai trouvé une hache. Donc, avec ces deux éléments, j’ai fait une mise en scène avec un acteur qui coupait la tête de Marie Antoinette, nue, la tête posée sur le billot et ses robes éparpillées sur le sol…

Photo de Jorge Amat (14)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Tu avais déshabillé Marie Antoinette!

Jorge Amat : Il faut être honnête : le voyeurisme à travers l’appareil photo ou la caméra a toujours été pour moi un moment très fort sous le couvert de l’art… mais après la trace photographique garde une empreinte des vibrations du modèle, comme dans un état de transe.

Un autre jour, je trouve dans le Marais une grande boite d’emballage en bois qui ressemblait à si méprendre à une cage. Je l’ai emporté dans l’atelier et j’y ai mis une fille, puis deux filles, puis trois filles et un garçon, puis six personnes, toutes nues… Ils devaient s’acrocher aux barreaux, dans ma tête, pendant que je les photographiais, ils étaient comme des prisonniers du Marquis de Sade ou comme des singes au zoo… C’était l’époque du « Living Theatre » et je me voyais entre Julien Beck et Andy Warol… Souvent mon moteur passe à travers des objets, des lieux.

Photo de Jorge Amat (13)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Tu as un rapport très personnel aux objets que tu trouves dans la rue et que tu appelles tes « orphelins ».

Jorge Amat : Il m’est en effet très difficile de voir un objet abandonné, souvent détérioré, abandonné sur le trottoir et de ne pas le rapporter dans mon atelier. Je le considère comme un orphelin que je sauve et auquel je donne une autre vie. Je le répare et le mets dans une photo… ou le donne à un copain. Dado, qui fut un très grand ami, avait cette même démarche. Il pensait comme moi que les objets ont une âme, c’est pourquoi il en collait dans ses peintures ou peignait des visages sur des fauteuils qu’il récupérait, l’âme de ses ex-propriétaires.

Photo de Jorge Amat (12)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Une pensée animiste, en quelque sorte. Tu crois beaucoup à tout ce qui ressort de la métempsychose, de la divination, enfin à toutes ces choses qui nous lient au surnaturel. D’ailleurs, tu lis dans le marc de café.

Jorge Amat (riant) : Oui… A ce propos, j’ai une anecdote étonnante avec Dado. Un jour, je trouve un chat mort, momifié toutes griffes dehors, dans les maisons qui ont été démolies dans les Halles pour construire Beaubourg. Je l’ai ramené chez moi, mais, comme ma femme était térrifiée, je l’ai offert à Dado. Une dizaine d’années plus tard, il l’a integré dans un grand tableau qui se trouve aujourd’hui à Beaubourg. Donc le chat est retourné sur son lieu de mort, la scène du crime !

Photo de Jorge Amat (11)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Revenons à ces photos inspirées au départ par des objets trouvés.

Jorge Amat : En fait, cela a fonctionné pendant quelques années, puis j’ai pris conscience que je rêvais des images, des situations qui m’obsédaient, nuit après nuit, dans le même espace, jusqu’au moment où j’en faisais une photo. Par exemple, pendant longtemps j’ai rêvé d’une grande fille nue avec des énormes escargots de Bourgogne qui évoluaient sur son corps, ses seins, sa chatte…c’était devenue comme un tableau de Dali ou plutôt une scène non filmé du Chien andalou de Bunuel… Jusqu’au jour où une fille a accepté d’interpréter cette fantaisie, et là j’ai filmé et photographié la cavalcade fantastique des gastéropodes, obsédés sexuels, sur son corps nu… C’était presque une scène de cannibalisme, j’en ai encore la chair de poule. Après je n’ai plus jamais rêvé de cette scène. Les rêves m’ont toujours obsédés, moins dernièrement, peut-être parce que je crée trop d’images…

Photo de Jorge Amat (10)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Pour ton livre avec Jacques Henric, « Obsession nocturne », qui a obtenu le prix Sade du livre d’art en 2006, tu t’es aussi inspiré de tes rêves.

Jorge Amat : Exact. En fait, avant qu’elles ne soient publiées, ces photos fantasmatiques faisaient parti de mon jardin secret. Elles n’étaient pas faites pour être exposées ni pour être montrées. A l’époque j’exposais des photos, disons plus sérieuses, avec des décors, des costumes inspirés de l’univers de Kafka. J’avais fabriqué une énorme machine avec un bras articulé qui ressemblait à la machine infernale de La colonie pénitencière. Et j’avais un ami tatoué, qui avait une tête d’assassin, donc cela était parfait dans le monde de Kafka. Mais voilà qu’un jour Jacques Henric, avec qui je faisais des échanges de photos érotiques, voit ma boite avec des photos que je cachais plus ou moins à l’époque. Il me dit : « Mais c’est beaucoup plus intéressant que ce que tu montres habituellement ».

Photo de Jorge Amat (9)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Et c’est comme ça que le livre est né.

Jorge Amat : Oui, car ces photos secrètes ont inspiré Jacques Henric pour écrire un magnifique texte de cent pages. Presque un petit roman autobiographique.

C’était un énorme cadeau qu’il me faisait car, avec son nom, je n’ai eu aucun problème pour trouver un éditeur.

Photo de Jorge Amat (8)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Tu parles de mises en scène dans tes photos, mais tu ne dis pas que tu es aussi metteur en scène de cinéma ? Comment t’ait venue cette envie d’articuler le réel à travers la fiction?

Jorge Amat : Oh, c’était vers les 14 ans, quand j’ai vu Las hurdes et Le chien andalou de Buñuel. Et là je me suis dit : « Si on peut faire ça, je veux être metteur en scène !» Jusqu’àlors je n’avais vu que des films de cape et d’épée… ou des comédies avec Bourvil… mélangés avec quelques films d’Eisenstein… mais cela ne m’intéressait pas du tout… en échange, avec Le chien andalou, j’ai compris que l’on pouvait mettre tout ses fantasmes dans un film et parvenir à faire un art si fort que je me suis dit : oui, cela est pour moi.

Photo de Jorge Amat (7)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Tu es très influencé par les surréalistes. Tes premiers films sont assez proches de cet univers, non ?

Jorge Amat : Je pense qu’il y a pour chaque artiste un fond commun… qui s’appelle l’inconscient collectif dans lequel chacun puise ce qui lui correspond. Il ne faut pas oublier que je suis espagnol, que ma mère est peintre et que Goya, Buñuel et Dali font parti de ce fond commun. D’ailleurs j’étais très content quand 20/30 ans plus tard j’ai lu que Bunuel, dans son livre de mémoire, Mon dernier soupir, écrit que la plupart de ses films sont nés de ses rêves… Je me suis dit : je ne suis pas fou, je ne suis pas le seul pour qui les images sont dictées par les rêves. Il y a donc une fraternité d’idée. J’aime me retrouver dans ce monde-là. Ce n’est pas la réalité quotidienne, c’est un monde parallèle qui devient réel et matière grâce au cinéma, à la photo, à la peinture, et ce monde se trouve en effet plutôt dans l’univers surréaliste.

Photo de Jorge Amat (6)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Dans ta dernière série de photos, on a également l’impression de se retrouver dans des rêves.

Jorge Amat : Depuis longtemps je photographie des lieux, des espaces : ruines, appartements bizarres, qui dégagent un je ne sais quoi d’étrange qui me plait, mais où je n’arrivais pas à mettre mon grain de sel … J’ai donc accumulé ces images, qui forment maintenant une véritable photothèque. Et puis j’en ai fait d’autres, spécialement pour cette nouvelle série que j’appelle pour l’instant : « paysages imaginaires »… je ne sais pas encore… En fait, il s’agit du dédoublement de l’espace dans une fraction de seconde…C’est nouveau, mais, quand j’y pense, j’avais déjà commencé cela dans ma première série de photos rue Mazarine dans les année 80, avec une série de dédoublement d’un visage avec une tête d’animal correspondant au signe astrologique chinois du modèle. Le résultat était un monstre à deux têtes. Et cela, à la chambre, en surimpression directe. Maintenant, grâce à Photoshop, je peux retravailler la photo après la prise de vue. Je travaille sur deux espaces, l’un actuel, riche ou pauvre, un paysage moderne, présent, comme toute une série de photos que j’ai faite de l’intérieur de l’hôtel Crillon avant que cet intérieur ne soit démoli. Par la suite, j’ai fait des images de ce que pourrait devenir le Crillon après une guerre atomique. J’ai photographié des bâtiments en démolition ou des maisons totalement pourries en Dordogne et dans le Luberon… qui restent des espaces vides d’humains mais remplies de leur passé. Il faut être conscient que toute notre civilisation, nos immeubles dans des milliers d’années vont finir en ruine. Je préfère qu’il reste des objets, des meubles, des traces d’une vie antérieure des anciens occupants. Avec cela je construis des dualités, de temps en temps j’ajoute des personnages, des objets, je dénature les visages les transformant en mannequins… La dualité de ces espaces est lié à la coupure : présent/passé, doux/âpre, chaud/froid, guerre/paix, vivant/mort, voyant/aveugle, etc.

A l’intérieur, j’introduis des personnages pris dans la rue ou je les mets dans des cadres, comme les photos de ma grand-mère qui était chanteuse et danseuse de zarzuela, une sorte d’opérette, à Madrid.

Photo de Jorge Amat (5)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Il y aussi un côté très cinématograpique dans cette nouvelle série.

Jorge Amat : Le cinéma s’introduit aussi directement dans certaines photos, comme celle intitulée : « Hommage à Ava Gardner dans Pandora ». Quand j’ai fait une photo de nuit dans le port de Bonifacio, cela m’a fait immédiatement penser au vaisseau fantôme de la légende du « Hollandais volant », et puis, de retour dans mon atelier, cette photo seule ne me satisfaisait pas, alors j’ai pensé à Ava Gardner, la danseuse du film, la femme qui joue avec le feu, et puis sur la droite dans le noir du paysage, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu envie de mettre deux cailloux ligaturés.

Photo de Jorge Amat (4)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Tu peux m’expliquer pourquoi tu as mis ces deux cailloux?

Jorge Amat : Je n’essaye pas de comprendre… c’est venu comme ça! C’est peut-être l’âme d’Ava Gardner, star qui a toujours été malheureuse en amour.

Jean Streff : On pourrait tenter de faire une analyse psychanalytique…

Jorge Amat : On pourrait l’analyser, oui. Moi je ne sais pas… c’est une envie…

Photo de Jorge Amat (3)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Tout cela est très lié avec ta façon de travailler, de faire fonctionner ton inconscient… presque comme une écriture automatique.

Jorge Amat : Dans ce cas-là, c’est une envie de cailloux, une fonction presque esthétique…

Jean Streff : Oui, mais ce n’est pas n’importe quels cailloux, ils sont ligotés…

Jorge Amat : Oui, tu as raison, c’est le désir ligoté.

Jean Streff : Tu as parlé de photoshop, est-ce que la technique t’a influencé pour ce nouveau travail ?

Jorge Amat : Non, je ne pense pas. Il y a un an je me suis dis qu’il fallait que j’arrive a sortir du coté obsessionnel du nu, tout cela me reliait au monde de mes nuits, de mes rêves, du non-dit… Plus cela devenait public, moins cela me parlait. En fait, je me suis aperçu que c’était surtout le coté caché de ces photos qui me donnait aussi envie de les faire.

Photo de Jorge Amat (2)
© Jorge Amat
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Jean Streff : Tu n’as jamais fais d’analyse ?

Jorge Amat : Non, je n’ai jamais été chez un psy… et je n’en ai pas envie. J’aurais peur d’y perdre mon imaginaire. Et puis je ne souffre pas, au contraire, alors…

Jean Streff : Peur de perdre ton imaginaire ? C’est lié à ta créativité personnel, le fait d’être obsédé par des images et libéré quand tu les fais.

Jorge Amat : Bien sûr tout cela est lié. En fait moins ma pensée réfléchie intervient, plus mon inconscient se manifeste, plus les photos me paraissent intéressantes.

Photo de Jorge Amat (1)
© Jorge Amat
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Un quotidien juvénile, par Marie Broyer /fr/2013/marie-broyer/ /fr/2013/marie-broyer/#respond Sun, 02 Jun 2013 11:42:27 +0000 /?p=8280 Related posts:
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Texte et photos de Marie Broyer.

 

Du haut de mes seize années, et ce laps de temps me paraît bien court, j’ai appris beaucoup de choses. Je partage ici quelques leçons essentielles. La première, faire ce que je souhaite faire de ma vie. La seconde, toujours croire en mes choix, même lorsqu’ils semblent étranges, et la dernière, ne jamais renoncer.

Lorsque j’eus l’audace, il y a de cela quelque temps, d’envoyer un message, je n’espérais aucune réponse. Pourtant, et voici encore une autre leçon, surprise ! Une réponse, découverte sur mon smartphone, en cours de Littérature, une réponse qui me fit sourire béatement toute la journée, tout simplement la réponse me proposant de soumettre quelques unes de mes photos. Du haut de mes seize ans, j’ai l’ambition, l’espoir de faire de belles photos. Ne vous méprenez pas, l’orgueil est ma hantise, je ne crois pas encore faire des photos d’art, simplement des photos de la vie quotidienne d’une jeune fille, en internat militaire. Trop souvent, au fil de mes visites sur de multiples blogs, j’ai réalisé que les objets de la vie quotidienne, les objets qui font, en somme, toute notre humanité, sont délaissés, laissant place à, parfois, des photos d’allure vides, sans sentiment. J’espère, le temps de votre lecture, pouvoir vous faire voyager au delà des codes, des règles, des barrières, afin que vous admiriez la vie. Simple. Belle. Surprenante.

Photo de Marie Broyer (5)
© Marie Broyer
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Pour les besoins de cet article, j’ai sélectionné un petit échantillon de photographies, mettant en scène, chacune à sa manière une parcelle de vie. Laissez donc vos préjugés pour d’autres, laissez vous surprendre. Apprenez que, chaque jour, la surprise se fait plus grande, et laissez-vous emportez par ma vision du monde. Elle pourrait vous sembler bien manichéenne, mais je crois fortement qu’en chaque être réside une part de mal, plus ou moins égale à une part de bien. Notre monde, notre société, obéit à des règles, à des critères que vous même chaque jour vous acceptez. Tout cela est régi d’une manière si parfaite, et si laide que cela en deviendrait robotique.

Face à cette robotisation, la vie simple de tout les jours disparaît, s’efface peu à peu, tant elle est habituelle pour nous autres, être humains. Voilà pourquoi la première image choisie, soit celle apparaissant en tête d’article, représente une collection de livre. Ceux-ci appartiennent à mon père. Ces livres, tous des Jules Verne, parlent pour certains de voyages extraordinaires, dans des lieux tous plus incroyable les uns que les autres. Les voyages, voyez-vous, nous permettent de nous évader, des nous échapper de notre vie, trop monotone, rythmé par l’inlassable métro-boulot-dodo, et ces livres, simples objets de nos vies, nous rappellent qu’elle doit être vécue comme un voyage, avec pour seule ligne de conduite, vivre, et pour seul but, mourir.

Photo de Marie Broyer (4)
© Marie Broyer
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La photographe amateur que je suis a toujours sur elle un appareil lui permettant d’immortaliser une seconde, unique, de sa vie. Le cliché ci-dessus fut pris par une tiède journée de début de printemps, alors que les fleurs peu à peu, tour à tour éclosent. Cette plante majestueuse qu’est la fleur représente, à plus courte échelle néanmoins, la vie humaine. Peu à peu elle accroît, de fines tiges deviennent branches, et cet instant, indescriptible, pendant lequel le bourgeon mute. Je vois cela comme une forme de mutation, un changement lent, progressif, révélant une incroyable beauté, invisible à l’homme d’affaire, à la femme surmenée. Pour pouvoir être capable d’admirer la beauté de la vie, il faut savoir prendre son temps. Se hâter n’est jamais bon, trop de choses sont à voir chaque jour, et tant des ces choses sont invisibles à ces êtres formatés. Pour obtenir ce cliché, il a fallu patience et passion, mais il a surtout fallu espoir. Car la beauté de la vie reste invisible à ceux dont l’espoir s’est enfui.

Ce cliché représente bien plus qu’une fleur, il représente la beauté incroyable présente à chaque instant.

Photo de Marie Broyer (3)
© Marie Broyer
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Cette photographie fut prise il y a peu de temps, dans mon cher lycée militaire de St Cyr l’École. Par un temps pluvieux et froid, résignée à passer une heure de mon temps dans une grande salle, glaciale, entièrement ouverte par le biai d’immenses fenêtres, je me surpris à admirer l’agencement des tables et chaises. Il y régnait un tel ordre, une telle perfection que cela me semblais irréel. Le cliché, une fois pris, révéla que cet air parfait n’était qu’une illusion. Le désordre régnait et la perfection périssait sous l’œil brûlant de mon appareil. Un être normal passerait à coté des ces chaises, peut être ne les verrait il même pas. En les photographiant j’ai pu me rendre compte de ce qu’était, ou non, la normalité , car après tout, qu’il y a t’il de plus banal que ces quelques chaises et tables d’écoliers ? En les observant attentivement, vous vous rendrez vite compte qu’une seule chaise est à sa place : face à sa table, comme le veut la règle. Pourtant, une autre est plus orientée vers l’ailleurs, comme si, brusquement, un mouvement avait été interrompu, pour ne laisser place qu’à un grand désordre, un grand désarroi.

Photo de Marie Broyer (2)
© Marie Broyer
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Lorsqu’il s’agit de banalité, nous autres, êtres humains, avons tendance à oublier l’un des actes les plus indispensable, hormis bien sûr manger, boire et respirer. Je vous parle ici du sommeil. A mon âge, le sommeil peut parfois jour le rôle du meilleur ami, mais d’autre fois il peut être plus contraignant. Il nous manque perpétuellement, nous le supplions longuement durant les interminables heures de cours, mais nous le rejetons, effroyablement, une fois la nuit tombée. Il nous est impossible de lutter contre lui lorsqu’il nous assomme, mais pourtant, aussi étrange et stupide peut vous paraître cette réflexion, je crois que le sommeil est indissociable du temps qui passe. Je m’explique : plus le temps passera vite, moins nous aurons envie de dormir car, au fond de nous même, nous attendons encore quelque chose d’une journée si rapidement écoulé. Inversement, lors d’une longue journée de dur labeur, souvent appelée journée d’école, nous sommes épuisés en permanence. Dans notre quotidien, le sommeil nous entoure. Demain, ouvrez réellement vos yeux, observez autour de vous. N’y a t’il pas là un homme qui baille, à s’en décrocher la mâchoire ? Et ici, une femme tentant maladroitement de profiter de quelques minutes de repos avant une réunion ? Et vous même, n’avais vous donc jamais lutter contre l’envie de fermer les yeux, de vous laisser entièrement à Morphée ?

Photo de Marie Broyer (1)
© Marie Broyer
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Venons en à la fin, c’est à dire ce dernier cliché. Voici ce qui m’a permis de prendre les quelques clichés précédemment décris. Cet appareil n’est pas le mien. Je ne crois pas que la bonne photographie est dû à un bon appareil, je crois plus sérieusement qu’il faut avant tout penser et imaginer le cliché pour pouvoir ensuite le produire. A mon jeune âge je possède un petit appareil numérique, ainsi qu’un smartphone. Quelque fois, mon père me permet d’utiliser le sien, soit celui montré ici. Chaque jour, j’ai en ma possession de quoi me permettre de prendre des clichés. Je ne photographies pas que des objets, je ne fais pas non plus des photographies d’art, je me contente simplement de photographier ma vie. Il est important, je crois, de se forger un souvenir, un souvenir gravé à jamais à l’aide d’un ou plusieurs clichés. Nous ne savons jamais de quoi demain sera fait, il est donc important d’observer, puis conserver la beauté du quotidien. L’appareil photo ne permet pas seulement de prendre un moment unique et de l’enregistrer, il permet à quiconque le souhaite de se forger un souvenir, à tout moment, sur n’importe quoi.

Le but de cet article, croyez le ou non, était de faire réfléchir sur ce quotidien si habituel, pour qu’il devienne, le temps d’une journée, inhabituel. Aujourd’hui, alors que je termine de rédiger cet article, je m’approche de mon dix-septième anniversaire. Voilà déjà presque dix-sept ans que je me laisse surprendre par mon quotidien, pourquoi pas vous ?

 

Visitez le blog de Marie Broyer pour d’autres photographies.

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Ergo vivo, par Tierry Bigaignon /fr/2012/ergo-vivo-tierry-bigaignon/ /fr/2012/ergo-vivo-tierry-bigaignon/#respond Fri, 24 Feb 2012 10:18:10 +0000 /?p=4510 No related posts. ]]> © Thierry Bigaignon
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Texte et photos de Thierry Bigaignon.

 

Créer une image n’est déjà pas chose facile mais expliquer ses choix, son intention l’est encore moins. Ainsi, lorsque de Camera Obscura m’a demandé d’expliquer mon travail, j’ai tout d’abord hésité et dans le même temps j’étais terriblement excité ! N’est-ce pas un peu délicat de parler de soi ? On se demande si les lecteurs comprendront votre démarche, s’ils prendront le temps de vous lire tout simplement. Cela étant, n’est-ce pas une belle opportunité que de décrire précisément et librement son travail et ses choix ? Ces deux sentiments, quelque peu paradoxaux, m’ont semblé suffisamment créatifs pour me donner envie de me lancer.

© Thierry Bigaignon
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Je me suis mis sérieusement à la photographie il y a quelques années. Je ne me sentais pas très bien alors. Chef d’entreprise, je venais de perdre 90% de mes clients en quelques jours de par la faillite de Lehman Brothers et l’état de crise financière dans laquelle nous nous trouvions. C’était difficile, très difficile. A la déprime s’ajoutait un sentiment de profonde solitude d’autant que j’avais été contraint de rendre mes bureaux, licencier mes collaborateurs et retourner travailler à la maison tel un débutant. J’ai vécu tout ceci comme un terrible échec. Le combat que je menais depuis toujours pour élever ma condition sociale, et par lequel j’avais eu quelques réussites, semblait désormais vain puisque je me retrouvais dans un mode de « survie ». C’est précisément à ce moment que j’ai su qu’il fallait que je fasse quelque chose, que je suive mon intuition profonde, que j’exprime mon désarroi autrement, que je libère l’autre partie de mon cerveau, celle que je savais cruciale, la partie créative.

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Je suis alors parti pour New York et j’ai intégré la célèbre école International Center for Photography (ICP). Le résultat fut tout simplement magique. De vivre chaque instant pour la photographie fut très libérateur tout en réduisant considérablement mon anxiété. J’y ai beaucoup appris sur l’art de la photographie mais aussi sur les gens, car les belles rencontres ne furent pas en reste, que ce soit avec des professeurs comme Joel Meyerowitz ou Harvey Stein entre autres, ou avec mes camarades de promotion, des artistes à part entière comme Russ Rowland, Jacque Foo, Lauren Gniazdowski, Mike Avina ou encore Rodrigo Ramos pour n’en citer que quelques uns.

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Vivre au quotidien cette passion qu’est la photographie m’a permis de comprendre les images que je souhaitais créer, et peut-être surtout les images que je ne souhaitais pas réaliser ! La photographie de rue, de nature ou de studio ne sera donc pas pour moi. J’ai alors compris que j’avais un besoin irrésistible de contrôler, de maîtriser chaque aspect de mes images, comme le ferait un réalisateur de cinéma et comme j’aimais à le faire pour les choses de la vie. Mon travail devait avoir du sens, faire passer des messages ; il devait traduire mes sentiments profonds. Passionné de philosophie de tout temps, mes créations photographiques devaient également, d’une façon ou d’une autre, être liées aux questionnements incessants induits par cette pratique.

© Thierry Bigaignon
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J’ai toujours par ailleurs aimé annoter les citations qui m’interpellaient. Certaines d’entre elles m’inspirent une réelle énergie créative. Un matin, en lisant une phrase d’Albert Camus qui disait : « L’angoisse de la mort est un luxe qui touche beaucoup plus l’oisif que le travailleur, asphyxié par sa propre tâche », j’ai été littéralement interpelé et ému. Alors de retour en France, j’ai commencé à travailler sur une première série.

Parce que j’avais été plutôt oisif de par la crise, et parce que de ce fait j’avais pensé longuement à la mort, je me suis tout de suite identifié à cette phrase. J’ai alors pris mon appareil photo et je suis enfin sorti de chez moi pour faire ce que j’avais appris à New York. La série « Ergo vivo » (« donc je vis » en latin) allait naître de cette phrase de Camus.
 

La série ergo vivo

Douze images, des lieux mystérieux, une atmosphère pesante et un corps inanimé pourraient décrire cette série. Elle présente des images fortes, toutes prises dans des lieux sélectionnés avec grande précision. On découvre sur chaque image un homme non-identifiable qui gît sur le sol tel un cadavre.

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Qui est-il ? L’auteur ? Le spectateur ? Est-il mort ? Autant de questions que l’on peut être amené à se poser. En guise de réponse, je livre, à l’ouverture de la série, cette citation d’Albert Camus.

L’intention

La série Ergo Vivo, qui peut sembler noire de prime abord, est en réalité une véritable ode à la vie !

© Thierry Bigaignon
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J’ai basé ma réflexion sur nos comportements et le rythme effréné imposé par la société actuelle qui exclut par conséquent toute réflexion sur des thèmes fondamentaux tels que la mort.
J’interroge : est-ce une bonne chose de ne pas penser à la mort ? L’angoisse qui en découle est-elle forcément négative ? Ne devrions-nous pas, de temps à autres, cesser toute activité pour se concentrer sur l’essentiel ? A cette question, je réponds par l’affirmative. Lorsque l’on prend le temps de réfléchir aux questions importantes, on prend alors conscience de réponses tout aussi importantes. Il est parfois utile de penser à la mort pour mieux apprécier la beauté de la vie. Et c’est là qu’intervient le titre Ergo Vivo ou plutôt « cogito ergo vivo »… j’y pense donc je vis !

© Thierry Bigaignon
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La composition des images

Outre la série elle-même et son message philosophique, les images prises individuellement font apparaître des temps de pause très longs. Je me suis donc imposé à moi-même ce que j’attends des autres !

© Thierry Bigaignon
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Le travail de composition est, en effet, particulièrement soigné et, outre les pauses longues, fait ressortir une constante : la présence de lignes verticales marquées symbolisant la vie, entrecoupées de lignes horizontales très visibles, représentant les nécessaires moments de pause.

© Thierry Bigaignon
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J’essaie également d’interpeler le spectateur par le traitement « quadrichromique » particulièrement présent sur chacune de ces images. Même si elles renforcent la lourdeur de l’atmosphère qui y règne, ces couleurs agissent comme une métaphore visuelle de la vie, frappante de vérité et tranchent par rapport à la première impression « noire » que l’on avait de ces clichés. Il y a là, sans l’ombre d’un doute, une volonté affichée de rappeler à quel point les apparences peuvent être trompeuses et de nous inviter à la réflexion.

© Thierry Bigaignon
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Ergo Vivo est en fait une série de vingt quatre images, dont seules les douze premières sont présentées sur mon site internet. Je réserve en effet la primeur des autres images de la série aux collectionneurs et amateurs qui pourront les découvrir lors d’une prochaine exposition.

 

Pour plus d’informations sur l’auteur, découvrez son portait sous forme d’inventaire à la Prévert : Thierry Bigaignon (site en anglais).

© Thierry Bigaignon
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A bas le temps, par Adeline Mai /fr/2011/adeline-mai/ /fr/2011/adeline-mai/#comments Fri, 03 Jun 2011 05:59:58 +0000 /?p=4464 Related posts:
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Adeline Mai (12)
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Texte et photos par Adeline Mai.

 

A bas le temps qui m’échappe, fuit, s’envole. A bas le temps qui m’impatiente. A bas le temps qui me fait oublier. A bas le temps qui emporte les gens.

A bas le temps ; le mécanisme de mon appareil photo permet de fixer ce qui n‘existe réellement qu’un instant. A bas le temps, je le rattrape, et j’observe mes images, les fantômes qui sont dessus, ces revenants. Ces moments inexistants dans le présent. C’est pourquoi j’aime employer le mot medium photographique.

Adeline Mai (14)
© Adeline Mai
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Huit ans. Un jetable, entre mes mains, pour mes premiers voyages. Comme « NY est grandiose. » Les yeux grands ouverts, je dois me souvenir de tout. Si seulement mes yeux étaient une camera, à mémoire infinie. Les buildings sont si hauts, je suis si minuscule. Je suis frustrée je ne peux capturer les odeurs, l’odeur de la pluie, l’odeur de Chinatown, l’odeur ignoble des ordures qui traînent.

Quinze ans. J’observe mes amies, avec admiration, nostalgie, je les photographie, j’arrête la fuite du temps. Elles m’inspirent. Jeunes filles en fleurs, insouciantes, elles s’épanouissent, inconscientes de leur potentiel séduction. Plus tard, mes séries mode sont le reflet de ce que je connais : (Kristina) (Nathalie) je romance une réalité, je rêve, j’imagine.

Adeline Mai (13)
© Adeline Mai
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Kristina ne parle pas français, ni anglais, elle a 17 ans. Elle s’observe dans le miroir, sourit, aime le stylisme. Ça commence. Elle tente de comprendre ce que je ne peux expliquer, Kristina suggère, elle séduit naïvement. Je lui dit que je l’espionne, son regard change, je l’ennuie volontairement, je suis voyeuse (est ce un pléonasme de dire que je suis photographe et voyeuse ?). Notre jeu de rôle continue, je ne cesse de shooter, le bruit du capteur la rassure, elle est belle, tout va bien, et j’attends l’inattendu, sans lui montrer mon impatience, ce que je ne peux diriger, son rayon de beauté teinté d’érotisme. Oui! Il apparaît, tu es belle, oui, tu es superbe. Je l’encourage, elle continue, rentre dans le rôle, s’amuse.

Adeline Mai (11)
© Adeline Mai
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Nathalie est plus jeune, elle a quinze ans, son père l’accompagne, la taille de ses jambes, son visage, comment pourrait on penser qu’elle est encore une enfant, dans un corps de femme. J’exploite sa naïveté, sa pureté, et cette chose inexplicable, animale. Elle me propose ; son corps n’est plus le sien, mais un outil qu’elle contrôle parfaitement, gracieusement. Nathalie me fait confiance, élance son corps avec spontanéité, imagine une chorégraphie, danse lentement…. Je ne réduis pas mes modèles à des simples silhouettes m’apportant une satisfaction photographique ; c’est Nathalie, Nathalie est délicieuse. Irresponsable de sa beauté, une franchise captivante.

Adeline Mai (10)
© Adeline Mai
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Je grandis, mes photographies de femmes « ma femme » évoluent, mon jeu de rôle aussi. Cette fois-ci j’espionne Leona, elle joue le rôle de celle qui ne m’aperçoit pas. Un air boudeur, une timidité lui offre un e allure hautaine, nous sommes dans Blow up, au début du film. Je la surprends dans son jardin, de loin. Elle est parfaitement consciente de sa beauté, elle est plus âgée, elle a vingt ans.

Pause.

Adeline Mai (9)
© Adeline Mai
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Ma vie continue, je la reporte toujours, mes photographies sont mon journal intime. J’ai coupé mes cheveux lors d’une insomnie : elle passe un mauvais quart d’heure, je profite de l’ivresse de mes amis pour les déshabiller dans une foret, il me menace de se suicider, de sauter par la fenêtre, je m’enfuis dans les Cévennes et trouve la paix. Les paysages ne m’inspirent pas, je n’aime pas photographier les paysages. Les humains m’inspirent, et c’est l’échange que m’offre la personne photographiée qui m’intéresse. Je n’aime pas les paysages.

Adeline Mai (8)
© Adeline Mai
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Malgré leur beauté, malgré le sublime que la nature m’offre dans les Cévennes, je n aime pas les paysages. Je les imagine donc comme des courbes, les courbes d’un corps, et j’apprends à les apprécier, de jours en jours. Réconciliation.

Adeline Mai (7)
© Adeline Mai
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J’aime mes réveils à ses cotés, je les idéalise, puis j’exploite le lit, les draps et les modèles masculins. Je retrouve doucement mon sommeil, et rêve de voler. Mes sensations paraissent réelles, mon réveil est violent, étouffée par l’air dans lequel je flottais: irrespirable. Une légère noyade, en douceur. Un rêve ou un cauchemar, une sensation inconnue. Voici ma série underwater.

Adeline Mai (6)
© Adeline Mai
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La noyade ne se fait pas en douceur, la mort n’est pas encore là, j’imagine un coma profond, ou presque un coma dit « dépassé ». La mort n’est plus noire.

Il me déçoit, ma femme s’enfuit, puis s’abandonne.

Adeline Mai (5)
© Adeline Mai
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La femme dans mes photographies se retrouve doucement, dans le noir dans lequel elle s’est plongée. “Joue avec ces lumières, tu es perdue, elles te guident” et Lucyna proposait l’inexplicable une fois de plus.

Ma femme joue avec les hommes, dans cet hôtel où nous shootons toute la journée. Il est seize heures lorsque l’attachée de presse vient nous dire que nous n’avons pas le droit de shooter une femme dénudée dans cet hôtel. Trop tard. Les images sont sur ma pellicule et je les conserverai.

Adeline Mai (4)
© Adeline Mai
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Elle redevient séductrice, dominante, invulnérable.

Je me réconcilie avec les couples, j’admire mes duos préférés, mes amis en couples, mes couples d’amis. L’abandon des corps a une signification différente, le sommeil aussi.

Adeline Mai (2)
© Adeline Mai
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S’endormir, c’est s’endormir seul, à cote de quelqu’un. C’est rêver seul, à cote de quelqu’un. « It’s sad to fall asleep. It separates people. Even when you’re sleeping together, you’re all alone. » (A bout de souffle) Ils sont collés, ils ne forment plus qu’une entité. Ils sont un. J’immortalise cette entité qui ne durera pas, ne sera plus dans le futur.

Adeline Mai (1)
© Adeline Mai
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Les acteurs.

Ils sont parfois timides, presque gênés. Être photographe c’est devenir comique, distraire les gens, les mettre à l’aise.

– As-tu peur du vide ?

– Non.

– As tu peur d’avoir froid ?

– Non.

Iwan Rheon, qui joue un super héros (misfits), monte avec moi sur le toit du studio, à Londres. Une ambiance souvent plus calme, réservée, je réduis l’effectif autour de nous, l’intimité est plus agréable lors d’un portrait. Le bruit du capteur rassure encore, les acteurs laissent moins de morceaux d’eux même se faire absorber par la pellicule, et j attends encore l’instant ou je capterai un regard précieux.

 

Pour plus d’informations et de photos visitez le site de Adeline Mai.

Adeline Mai (3)
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Comment je ne fais pas de cinéma, par Natalia Jaskula /fr/2011/natalia-jaskula/ /fr/2011/natalia-jaskula/#comments Thu, 05 May 2011 16:26:59 +0000 /?p=4424 No related posts. ]]> Natalia Jaskula (1)
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Texte et photographies par Natalia Jaskula.

 

Lorsqu’on m’a proposé d’écrire un article parlant de mes propres photos, j’ai senti comme un vertige : j’ai été à la fois ravie et perplexe… Que saurais-je dire de mes photos, que je n’ai pas su dire dedans ? Je m’explique.

Je ne fais pas de « photos documents », je ne prends pas la réalité comme sujet, comme point de départ d’une photo… Je ne suis pas journaliste… Je crois, hélas, que je rêverais d’être cinéaste.

Je rêve de faire du cinéma, je regarde du cinéma, je discute du cinéma, la plupart de mes amis, mon propre fiancé, sont acteurs… En attendant, je fais de la photo.

Cela n’a pas toujours été comme ça. Au début, je rêvais surtout, et sans plus de précision, de ne pas faire des études de commerce (oui, mais quoi, à la place ?) et d’être célèbre (oui, mais comment ?). Par conséquent, j’ai fait des études du japonais. Que j’ai laissé tomber, pour faire des études de lettres. Que j’ai fait non sans un certain talent. Ensuite un début du doctorat en littérature comparée et là, j’étais fin prête pour un bon poste en secrétariat.

Natalia Jaskula (11)
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Au point de vue financier, mieux aurait valu que je le décroche, c’est sûr. Hélas, j’ai découvert la photo. D’abord de la photo argentique, noir et blanc – des photos de reportage, des portraits, des autoportraits – puis, assez vite, ce qu’on appelle de la « mise en scène ». La « mise en scène » laissait une large place à l’invention : invention de personnages, d’univers, de situations… Les photos que j’avais jugé réussies (parmi toutes celles qui ne l’étaient pas, et il y en avait beaucoup) m’ont encouragée à continuer : j’ai commencé à croire en moi et en effet, j’ai fait, dans la foulée, quelques photos dont je suis assez contente jusqu’à ce jour. Pour le reste, je les ai progressivement éliminées de mon portfolio.

Natalia Jaskula (10)
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Car justement, au bout de quelque temps, j’ai réalisé qu’il était assez facile d’inventer un peu tout et n’importe quoi, difficile, par contre, de ne pas céder au vice de l’image visuellement attractive, mais dépourvue, au fond, d’un vrai sens, d’un sens plus profond… Cette réflexion m’a pris un certain temps, car, comme toute personne découvrant, après une longue période d’atermoiements et de doutes existentiels, un domaine d’expression qu’elle pense être enfin sa vraie vocation, j’avais une certaine réserve de créativité jusqu’alors opprimée, ainsi que de l’inconscience, de quoi étoffer ma production pendant un certain temps…

Natalia Jaskula (9)
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Mais, les événements de la vie aidant, j’ai fini par m’essouffler. Je regardais toujours une grande quantité de films et je me suis persuadée que je ne pourrais désormais fabriquer que du beau et de l’insipide, si je ne parvenais pas à mettre dans mes photos quelque chose que j’appelais « vital ». Oui, bien sûr, bien sûr… du « vital »… Mais c’est quoi, exactement » ? Je ne le savais pas trop moi-même.

Je regardais des films et je réfléchissais…. Je réfléchissais surtout aux films pour lesquels j’avais une profonde admiration : « Aguirre, la colère des dieux » de Herzog… «Mort à Venise » de Visconti ou les films de Żuławski… Je savais que je pouvais en dire qu’ils avaient tous ce quelque chose de « vital »…. En fait, c’était assez simple : ils parlaient tous des questions fondamentales : de la vie, de la mort et du choix entre les deux, du choix entre le bien et le mal et du bien et du mal tout court, de la quête d’autre chose, chose impossible et de la folie, folie autodestructrice… Ils en parlaient directement, avec une sorte de violence visuelle, au plus près de l’homme … Oui, bien sûr ! « Vital » c’est « vie », et « vie », c’est « homme », c’est « l’humain »…

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Mais, pour que, sur une photo, « l’humain » soit « vie », il faut le faire vivre… Il ne suffit plus de faire de symboliques « natures mortes » avec des êtres dans le rôle d’un élément de composition. Il faut les faire jouer un rôle de composition. Lorsque j’ai commencé à faire de la photo, j’étais très inspirée par la peinture que je venais de découvrir grâce à mes études. L’idée du jeu, jeu d’acteur, bien que naturellement présente dans des photos mises en scène, m’intéressait dans une moindre mesure, plutôt comme un ingrédient parmi d’autres. Désormais, je voulais m’appuyer davantage là-dessus, pour insuffler dans mes photos du « vital »… Bien sûr, cela ne changeait rien aux ingrédients de base de la photo en tant que telle : composition, jeu de couleurs et de lumière, tout devait être là, mais je sentais qu’avec ce nouveau dispositif, je pouvais partir à la recherche de quelque chose de plus substantiel…

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Substantiel et ludique, plus précisément, les deux à la fois. Ce que je voulais éviter, c’était de faire des images « éducatives », présomptueusement symboliques, qui « enseignent », donnent des réponses… Je cherchais plutôt à faire des « photos-fictions » qui donneraient de la matière à l’imaginaire. Et que ce dernier se charge du reste….

Voilà pourquoi – pour revenir enfin à la question du début – il me paraît difficile de parler de mes photos et de dire ce qu’elles disent, vu que, justement, elles le disent. Autre hypothèse : elles ne le disent pas, elles ne disent rien ; dans ce cas-là, il vaut mieux garder le silence.

Natalia Jaskula (6)
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Je pense qu’il n’en va pas de même pour le photojournalisme. Quel que soit l’objet du reportage – individu, événement, objet, nature – sans être nécessaire, le texte peut apporter un complément à la photo. Pareil pour le cinéma documentaire et celui de fiction. On ne peut rien dire de la fiction qui ne serait déjà dedans. Par contre, on peut y ajouter un « making off ».

C’est justement ce que je pensais faire en m’attaquant à cet article. Puis, j’ai réalisé que raconter des anecdotes sur comment on a fait telle ou telle photo pourrait être, en effet, amusant, mais il valait peut-être mieux les rendre un tant soit peu instructives. Moi-même, j’adore regarder les « making off » des films. Au grand dam de tous les professionnels du cinéma, je dois avouer que les « making off » m’ont appris quelque chose sur le cinéma en général et sur le travail avec l’acteur en particulier. Mais avant de découvrir mes premiers « making off », j’avais déjà une assez bonne idée de ce qu’était le cinéma. J’ai donc pensé qu’avant d’aborder le « comment » mieux valait esquisser « une vue d’ensemble ».

Natalia Jaskula (5)
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Il y avait aussi une autre raison. Tourner un film est une entreprise très structurée. Il y a un scénario, un story-board, un budget, un planning, un metteur en scène, son ou ses assistant(s), des acteurs, des maquilleuses, des costumières, des techniciens divers et variés : chef opérateur, preneurs de son, machinistes… Puis, il y a toute la postproduction : montage, postsynchronisation, etc., etc…
Comparé à tout cela, mon propre « plateau de tournage » apparaît à la fois comme totalement démuni, artisanal et presqu’entièrement improvisé. Livrer les secrets d’une telle cuisine n’aurait pas suffit à remplir une page de texte. Mais maintenant, après avoir fièrement exposé la « théorie », il serait peut-être temps de dire un mot de la « pratique »…

Pour commencer, « l’acteur ». Eh bien, l’acteur en est un… ou pas. Sur la photo que l’on pourrait appeler « None enceinte », mon amie Asia, 21 ans, étudiante, joue une toute jeune femme enceinte. C’est ma meilleure amie et nous avons fait plusieurs photos ensemble, mais c’est la première fois que je lui demandais de jouer quelque chose de bien concret et elle l’a fait avec beaucoup de professionnalisme : sans la moindre gêne, concentrée, disciplinée. Je lui disais « vas-y, maintenant tu pousses » et elle poussait comme pendant un accouchement. Finalement, on n’a pas forcément l’impression que la femme sur la photo est en train d’accoucher, mais l’idée d’une femme enceinte, vivant sa grossesse, reste présente.

Natalia Jaskula (4)
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Quant au jeune homme sur la photo en noir et blanc, lui par contre, c’est un vrai acteur. Acteur aussi, cet être emmailloté qu’il serre dans ses bras. Tous les deux sont mes amis proches. Nous étions partis de l’idée de faire une photo autour d’un personnage de momie que l’on découvre gisant dans la nature. Mais les bandages que j’avais préparés à cet effet ne tenaient pas bien sur le corps très maigre de F., la momie, et, par ailleurs, rien ne marchait vraiment. Du coup, A. a enfilé son vieux manteau fétiche que l’on avait ramené au cas où, le chapeau de F. que celui-ci porte au quotidien, il a pris « la momie » dans ses bras et, en sa qualité d’acteur fertile en « propositions », il a improvisé une expression qui a scellé tous ces éléments disparates en un tout.

Natalia Jaskula (3)
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Pendant ce temps, F., transi de froid, grelottait sous ses fins bandages, mais donnait tout ce qu’il pouvait.

Et c’est ainsi que les choses se passent : on part du scénario « momie » pour l’abandonner en court de route et se retrouver avec un chasseur-juif serrant dans ses bras un malade mental sur fond de nature bourgeonnante. Et pourtant, cette photo n’est pas absurde, vide de sens, elle offre, selon moi, des pistes à l’imaginaire… A un moment donné, les éléments en place – les chevaux, l’arbre, les branches, les personnages avec leurs attitudes et expressions respectives – se sont assemblés en un tout. Cela n’a duré guère que quelques secondes, mais c’est déjà une grande chance. Car même si on invite la grâce à venir, on n’est jamais sûr qu’elle viendra… Pour qu’elle se présente, il faut improviser : on assemble les « éléments de base » – « acteurs », décors, « costumes », « scénario » – mais on sait qu’ils vont devoir être, pour certains, modifiés au passage. L’improvisation est vraiment l’essence de la photo mise en scène, à fortiori lorsqu’on veut y mettre du « vital ». C’est l’unique moyen d’approcher ce qui fait la valeur de toute œuvre, cet indéfinissable air de vérité

 

Pour plus d’informations et de photos visitez le site de Natalia Jaskula.

Natalia Jaskula (2)
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Par les yeux de la Sibylle, par Eric Keller /fr/2011/sibylle-eric-keller/ /fr/2011/sibylle-eric-keller/#comments Wed, 06 Apr 2011 08:07:00 +0000 /?p=4389 Related posts:
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Eric Keller (16)
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Texte et photos suivantes de Eric Keller.

 

On me demande parfois pourquoi je me plais à répéter depuis des années, et sans me lasser, ce genre de photographies.

Il y a toujours plusieurs façons d’expliquer les choses.
En voici une.

Eric Keller (15)
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Adolescent, je dessinais beaucoup. A la plume trempée d’encre de Chine, je couvrais le papier de formes, d’arabesques et de hachures dont émergeaient des corps, des chevelures.

Un jour, en feuilletant une encyclopédie, j’ai été arrêté par la reproduction d’un tableau : sous mes yeux, dans le décor à peine esquissé d’un palais oriental, évoluait une gracieuse reine, ou une prêtresse.

Eric Keller (14)
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Sur son corps pâle, presque nu, mais paré de lourds bijoux, le peintre avait fait courir un délicat entrelacs de signes et de symboles.

L’attitude hiératique de la danseuse en faisait une idole sacrée.

Il s’agissait d’une Salomé de Gustave Moreau. Cette scène peinte synthétisait en une seule image une représentation du corps féminin tel que je le cherchais dans mes dessins et des éléments de mon environnement. Dans les voûtes et les colonnes aux allures byzantines, je retrouvais les perspectives aperçues dans certaines usines de ma ville natale, ainsi que leurs couleurs de rouille et d’oxydes, de l’ocre-rouge au noir.

Eric Keller (13)
© Eric Keller
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Huysmans, dans A rebours décrit bien mieux que moi le pouvoir envoûtant des différentes versions de ce tableau (qui se mélangent dans ma mémoire). J’y trouvais pour ma part une correspondance évidente avec mes préoccupations, comme plus tard dans la poésie de Baudelaire, puis dans les mélopées de Lisa Gerrard.

Eric Keller (12)
© Eric Keller
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A peu près à la même époque, en visitant le musée municipal, j’ai découvert, installée à la croisée des allées de sombres tableaux de maîtres flamands – telle une princesse empoisonnée, assoupie dans sa châsse de cristal au milieu d’une clairière – la momie d’une jeune prophétesse perse.

De cette rencontre inattendue, je garde le souvenir de sentiments de répulsion et d’attirance mêlés.

Eric Keller (11)
© Eric Keller
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La vue de ce corps à la chair desséchée, plus impressionnant qu’un squelette, était cauchemardesque, avec sa peau parcheminée, enduite de goudron et tachetée de restes de feuille d’or.

Cependant, je ne pouvais m’empêcher de trouver émouvants ces crins filasses, qui avaient dû, jadis, s’étaler en mèches souples et luisantes, et encadrer un visage charmant.

J’en contemplais le rictus calciné, les rides effrayantes découvrant un sourire obscène de goule.

Le cadavre reposait tel qu’on l’avait trouvé, allongé sur un lit de feuilles séchées, précieuses comme des joyaux éparpillés.

Penché sur le cercueil de verre, je songeais à l’existence de cette déesse païenne, à ses rituels et à ses chants, à ses transes divinatoires.

Une Sibylle de l’âge de bronze privée de sépulture.

Eric Keller (10)
© Eric Keller
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Il y a une quinzaine d’années, j’ai ramassé sur une berge de la Seine des lamelles de métal rouillé, aux bords dentelés par l’oxydation. Je les ai assemblées et j’ai décoré l’ensemble avec des pièces d’un bijou ancien, pour en faire une sorte de casque.

Eric Keller (9)
© Eric Keller
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Lorsque je l’ai placé sur la chevelure du modèle, je me suis trouvé transporté dans le palais oriental, face à la Salomé de Moreau, soeur de la vestale embaumée.
L’image que j’en ai tirée m’a fait prendre une direction dont je m’écarte peu depuis.

Eric Keller (8)
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A partir d’éléments disparates glanés dans la nature, découverts dans les brocantes et de métal que je grave, je confectionne des coiffes et des bijoux dont je pare presque toujours les personnes qui posent pour moi.

Évidemment, ces artifices ne sont pas indispensables. Chaque corps raconte à lui seul une histoire et peut se suffire à lui même.

Cependant, un simple accessoire est capable de modifier le sens de ce que l’on voit, de transporter ailleurs.

Eric Keller (7)
© Eric Keller
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Ce sont bien souvent les éléments qui les composent qui m’ont inspiré les parures. Un fragment de bijou, une paire de cornes d’antilope découverts au petit matin au fond d’une caisse, à l’étal d’un vide-grenier, et déjà un projet s’échafaude. En archéologue qui vient d’exhumer un trésor, je me penche sur ces objets abandonnés, je les soupèse, les interroge, je les examine sous tous les angles et j’évalue leur potentiel.

Eric Keller (6)
© Eric Keller
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J’aime particulièrement les matériaux bruts, corrodés, les objets patinés qui ont « vécu ». Le clinquant, ce qui sent le neuf me déplaît.

Le fait-main a une grande valeur pour moi.

Est-ce pour cette raison que je continue à réaliser moi-même mes tirages à l’agrandisseur ?

J’ai un goût prononcé pour les objets empreints de magie, composés de fibres de végétaux, de cheveux, d’os, de crânes d’animaux noircis par la fumée, incrustés de boue séchée, qui proviennent d’Afrique ou d’Océanie. Symboles païens, animistes, talismans, amulettes, fétiches, totems. Ceux la même qui, malgré la protection de la vitrine d’exposition d’un musée, dégagent des fluides puissants, évocateurs d’arcanes oubliés, de rites sauvages, de cérémonies venues du fond des âges.

Eric Keller (5)
© Eric Keller
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J’envisage des assemblages, je prévois les questions techniques qu’il faudra résoudre pour que l’ensemble tienne en équilibre, ne se déforme pas et présente un résultat harmonieux.

Sur mes carnets j’improvise des esquisses pour me figurer l’allure de l’objet qui va naître et donner une nouvelle vie à mes trouvailles.

Lorsque le projet est cohérent, je commence à découper, graver, coudre.
Peu à peu la coiffure prend forme. Elle viendra bientôt couronner une nouvelle souveraine et créer un écrin pour son visage.

Eric Keller (1)
© Eric Keller
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Même si mes images montrent des corps nus, c’est au visage que va en premier lieu mon intérêt.

Toujours attentif, dans la rue, dans les transports en commun, je scrute le visage des gens qui m’entourent. Je cherche le merveilleux derrière l’ordinaire.

Dans un endroit des plus banals, un profil éclairé par la lumière d’un vulgaire néon me saisit, me fascine comme une œuvre d’art. Alors, je déplore de ne pas maîtriser le pouvoir d’arrêter le temps pour l’examiner à loisir, comme on peut admirer une sculpture.
J’éprouve même de la peine quelquefois à ne pouvoir retenir, garder une trace des chefs d’œuvre que je croise et qui replongent aussitôt dans le néant.

En cela, chaque photographie est une victoire, une revanche contre l’oubli, contre l’intolérable disparition de ce qui est beau.

Il me semble que l’atmosphère sombre de mes images n’est que le reflet du trouble que je ressens devant la beauté et l’impossibilité de la saisir dans sa totalité. L’échec inévitable de sa possession.

Eric Keller (4)
© Eric Keller
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Au cours de la séance, le buste rehaussé de colliers et les poignets cerclés de bracelets, le modèle est transfiguré et devient une pythie, un succube, une amazone, Judith, Lucrèce.

Chacune me prête sa grâce. Unique pour chacune.

Je ressuscite la chamane défunte et elle évolue devant moi, reprend ses poses stylisées, ses gestes codés et sa danse incantatoire.

Elle me fixe à travers le temps, de ses yeux transparents.

Son corps dénudé est une arme blanche. Comme une lame débarrassée de son fourreau il est éblouissant, fascinant, dangereusement beau.

Je suis le témoin de cette réincarnation et je tente d’en saisir les manifestations, à la façon d’un spirite qui aurait invoqué un spectre.

Eric Keller (3)
© Eric Keller
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Bien sûr, avec le temps, mon imaginaire s’est enrichi d’autres influences, d’autres références et j’ai exploré d’autres sujets, mais mon inspiration me ramène toujours vers les mêmes rivages crépusculaires peuplés d’apparitions.

 

Pour plus d’informations à propos de Eric Keller et son travail lisez l’article déjà paru sur Camera Obscura ce qui est écrit dans la main de mon père ou visitez son site personnel :Eric Keller.

Eric Keller (2)
© Eric Keller
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La complicité du modèle, par Roland Cabon /fr/2011/roland-cabon/ /fr/2011/roland-cabon/#comments Mon, 07 Mar 2011 12:15:41 +0000 /?p=4375 Related posts:
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Roland Cabon (15)
© Roland Cabon
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Texte et photos suivantes par Roland Cabon.

 

J’ai été initié très jeune à la photo par mon père. Après des études en photographie à Paris, je me suis lancé dans le métier en me spécialisant dans la photo d’architecture et de décoration. Tout en continuant mon métier de photographe, je suis arrivé au graphisme. De studios de design en agences de publicité (à Paris, Aix-en-Provence et finalement à Montréal), j’ai été graphiste, directeur artistique, journaliste, organisateur d’événements pour les artistes, puis finalement, rédacteur en chef de magazines spécialisés. Pour assouvir mon manque de créativité visuelle, je tenais donc à renouer peu à peu avec la photographie, mon premier métier.

Roland Cabon (14)
© Roland Cabon
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C’est grâce à mes séries d’études sur le nu, que je recommence en 2000 à travailler sérieusement la photo. Véritable retour aux sources pour moi, mes nus devaient être aussi un retour à la simplicité. Sans artifices souvent inutiles et parfois dérangeants (sinon vulgaires) ni d’effets spéciaux à l’ordinateur, j’ai juste cherché à représenter la beauté du corps sans fard et la pureté de ses formes graphiques. D’ailleurs l’influence du graphisme est perceptible dans chacune de mes compositions non recadrées ultérieurement et souvent travaillées d’après mes propres croquis.

Roland Cabon (13)
© Roland Cabon
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Ombres et lumière

Cette série d’une soixantaine de photos a été exposée plusieurs fois à Montréal. Elle a également été présentée sur la chaîne de télévision française FR3 et a fait l’objet d’une exposition au 5e Festival européen de photo de nu d’Arles en 2005. L’éditeur allemand Bucher (Berlin) a publié en 2006 des images de la série dans un livre collectif, The Best of Black and White EroticPhotography.

Roland Cabon (12)
© Roland Cabon
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Les cadrages sont originaux : la plupart des photos étant réalisées d’après des croquis précis et dessinés avant la prise de vue. Les images en noir et blanc et le travail d’éclairage soulignent ma volonté de réaliser des images classiques tout en douceur.

Roland Cabon (11)
© Roland Cabon
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L’envol

Du décollage à l’atterrissage, cette nouvelle série est une quête en apesanteur vers la liberté totale et la plénitude. Un refus de la noirceur et des tabous qui nous entourent. Malgré les battements d’ailes, le décollage n’est parfois pas facile… Une fois là-haut, les modèles flottent planent, se déconnectent de notre réalité jusqu’à la plénitude.

Ces anges sans fausse pudeur, nous conduisent vers la liberté absolue. L’atterrissage, le retour au réel, est parfois brusque, parfois serein selon le message qu’on y perçoit. Ce voyage aérien sans tabous nous guide vers nos rêves et nos fantasmes. À nous de trouver le moyen de décoller…

Roland Cabon (10)
© Roland Cabon
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La série L’Envol est en cours et sera le sujet d’une exposition d’une cinquantaine de photos qui ont été réalisées en studio d’après croquis et sans trucages informatiques. Ces simulations de vol ont représentées beaucoup de préparation, de travail et de complicité avec les modèles. La photo présentée ici est un clin d’œil à la pochette de disque du groupe Nirvana, Nevermind.

Roland Cabon (9)
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La Fuite du quotidien

Je travaille aussi de temps à autre sur une autre série d’images qui sont traitées comme de petites histoires humoristiques en 8 à 12 photos où la nudité sans fausse pudeur devient le symbole de la liberté absolue. Cette Fuite du quotidien est un clin d’œil sans prétention. Elle représente pour moi un refus de la grisaille et des tabous qui m’entourent. C’est un peu ma façon de contrer la violence omniprésente dans notre quotidien. C’est d’ailleurs le message que je veux passer à travers toutes mes photos : la nudité et la beauté contre la violence et l’hypocrisie. Ma façon de résister !

Roland Cabon (8)
© Roland Cabon
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Complicité

J’ai d’autres projets en cours que je réalise peu à peu et surtout en fonction des modèles que je rencontre. Je cherche toujours des modèles qui participent, amènent leurs idées et critiques. Mes images sont un travail d’équipe et je considère, dans ce cas, que les images sont autant celle du photographe que celles du modèle.

Roland Cabon (7)
© Roland Cabon
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Trouver LE modèle n’est pas chose aisée. Il y a la rencontre fortuite et bien rare et le contact via des sites spécialisés. Je privilégie toujours la première solution mais il faut se fier uniquement à la chance et… au culot du photographe ! La seconde solution peut paraître plus facile, mais est parfois sujet à des désillusions et à du temps de perdu.

Roland Cabon (6)
© Roland Cabon
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Je ne cherche pas la beauté parfaite, ni la grande expérience du modèle. Je cherche surtout le modèle qui à travers sa personnalité amène une étincelle aux prises de vues. Avec une débutante, on retrouve souvent la gêne, la timidité, l’espièglerie avec des expressions qui font tout le charme d’une photo réussie. Je ne cherche pas la femme objet ou sans défaut, mais le modèle naturel qui transmet un message avec ses yeux. Nudité ou pas, le regard est primordial pour moi.

Roland Cabon (5)
© Roland Cabon
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Je rencontre toujours les modèles avant un shooting afin de parler des projets mais surtout pour voir s’il y a un feeling qui passe et voir si l’on est sur la même longueur d’onde. Si rien ne se passe, on oublie ça et je continue ma quête de modèles… Cela permet de briser la glace, d’éviter les quiproquos et de gagner bien du temps lorsqu’arrive le temps de la prise de vues.

Roland Cabon (4)
© Roland Cabon
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Pour moi, le nu n’est pas chose facile, c’est un exercice de concentration où j’extrapole les émotions et les sentiments surtout dans les premières minutes où l’on découvre le corps que l’on n’a jamais vu. Pour bien se faire, il doit y avoir une complicité dans le travail avec le modèle et une confiance absolue. D’un côté comme de l’autre.

Roland Cabon (3)
© Roland Cabon
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Plusieurs de mes modèles étaient des actrices ou danseuses professionnelles au moment des séances de photo. Pour deux ou trois d’entre elles, ces séances ont été, selon elles, comme une thérapie afin de briser leur trac sur scène. Plus tard, elles sont revenues d’elles-mêmes pour participer à d’autres sessions. Belle confiance et preuve que les séances se passent bien ! Le plus beau cadeau que j’ai reçu a été de voir trois anciens de mes modèles devenus de très bonnes amies depuis, me contacter afin de faire des photos d’elles une fois enceintes puis une fois mamans… Des moments privilégiés et de superbes souvenirs à la clé.

Roland Cabon (2)
© Roland Cabon
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Personnalité

La personnalité du photographe est très importante. La transparence de ses propos aussi. Tout prévoir à l’avance, montrer ce que l’on veut faire et faire ce que l’on a décidé ensemble. Être clair, précis. Un contrat net qui respecte les désirs du modèle et, si demandé, son anonymat. Pas de mauvaises surprises. Bien entendu, on peut toujours compter sur une part d’improvisation de dernier moment lors du shooting qui aboutira parfois au meilleur cliché de la session.

Roland Cabon (1)
© Roland Cabon
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La perception que le modèle a du photographe est primordiale. Pour moi, mon expérience de ce genre de séances photo et mon âge sont un atout. Passé la cinquantaine, marié, ayant des grands enfants, je suis plutôt rassurant pour un modèle qui a souvent entre 18 et 25 ans ! Ma personnalité est aussi un avantage, j’arrive à persuader et à mettre en confiance assez facilement. Il faut avoir une dose de psychologie et savoir s’adapter soi-même à la personnalité du modèle. Ne pas oublier l’ambiance ! Un endroit chaleureux (si la séance est en studio), des croissants tout frais, de la musique au goût du modèle et une bonne dose d’humour et le tour est joué !

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Interview avec Olivier Roller /fr/2011/interview-avec-olivier-roller/ /fr/2011/interview-avec-olivier-roller/#respond Tue, 01 Mar 2011 08:47:16 +0000 /?p=4370 Related posts:
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Olivier Roller (11)
© Olivier Roller
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Camera Obscura : Est ce que vous pouvez vous présenter ?

Olivier Roller : Je m’appelle Oliver Roller, photographe. Longtemps je n’ai pas osé dire que je l’étais photographe trouvant ça un peu « honteux ». Pour moi, le photographe c’était une personne sur les terrasses, qui ne savait pas quoi faire de sa vie et qui se disait photographe, pour aller voir les filles (rires). Pendant longtemps, j’oscillais sur la définition de mon activité. Et là, maintenant, j’arrive enfin à assumer au bout de plus de 10 ans le fait d’être ce que je suis. Mais je n’aime pas être résumé à un mot «valise». Le terme « photographe » recouvre des gens qui font des activités qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, et donc pour être plus précis, je dirais que je fais des photos, je photographie «type de gens», une personne à la fois, et relativement près. Quant à mon parcours, j’ai tout appris tout seul. Un jour je suis rentré dans une boutique je suis reparti avec un appareil, que j’ai échangé et ainsi de suite. Quant à mes études, j’ai étudié la science politique et le droit à Strasbourg. La photographie c’est avant tout dire ce que l’on a au plus profond de soi.

Olivier Roller (10)
© Olivier Roller
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Camera Obscura : Qu’aimez vous dans votre studio ?

Olivier Roller : La première chose, c’est qu’il est sur le même pallier que mon appartement (rires). Pendant longtemps j’ai travaillé dans mon salon. Le week-end, il y avait des ministres qui venaient, des grands chefs d’entreprise. Et naturellement, mon fils qui avait deux ans à l’époque, il voulait absolument faire une photo «avec le monsieur». Le ministre était là avec tout son staff, et mon enfant faisait les oreilles de lapins derrière son dos, donc du coup c’était moins crédible, moins professionnel. Mais moi j’appréciais beaucoup ce décalage. Ce que j’aime dans ce lieu, c’est qu’il est petit, à ma dimension : en 3 pas, je n’arrête pas d’arpenter ce lieu tout au long de la journée. Je peux faire mes photographies, les retravailler, collaborer avec mes assistants. On est dans cet espace ramassé où j’ai besoin, tout comme dans mes photos, de toucher les gens près de moi, d’avoir la bonne distance physique près de moi, d’être dans cette problématique. Être dans 500 m2 dans un loft, cela m’ennuierait.

Olivier Roller (9)
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Camera Obscura : Ou puisez vous votre inspiration ?

Olivier Roller : Sans doute dans des sources multiples. Je pense que, si je dois rapporter ca à mon passé, cela est rapporté à mon enfance. Je n’ai jamais connu mon père, il est parti lorsque j’avais 6 mois, et ma mère a tout jeté ensuite de lui (lettres et photos). Comme par hasard, je suis par la suite photographe, et je capture des garçons qui pourraient avoir l’âge de mon père, pour caricaturer. L’inspiration quelque part vient de là. Tout tourne autour d’une faille qui a eu à un moment donné, pour tout artiste. Cela peut être dramatique, à son niveau ou au niveau d’un événement historique. Mais pour chacun, il y a cette faille. La photographie est un langage, et que je me sers de la photographie pour parler.

Olivier Roller (8)
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Camera Obscura : Pouvez vous m’expliquer comment vous procédez pour travailler ?

Olivier Roller : Je travaille dans deux cadres différents. Dans celui de la commande tout d’abord. Mais je peux aussi travailler sur des projets personnels, et je vais solliciter des gens pour les convaincre. En définitive on arrive à la même chose : le photographe face au photographié, un face-à-face. Ce qu’il y a de formidable dans le portrait, c’est ce qui cela échoue, c’est de la faute du photographe. Dans le reportage, tu imagines comment la situation va se dérouler. Dans le portrait, la personne arrive et se demande ce que tu vas faire d’elle. Il faut alors prendre les choses en main. Moi, j’ai besoin d’un cadre qui ferme le plus possible l’image, un fond qui enlève le décor, de la lumière maitrisée. Les gens sont assis en face de moi, nous mettant ainsi dans une typologie qui fait que l’on ne peut pas beaucoup bouger. On est comme ainsi dire bloqués. A partir de la, j’associe cela en plus avec un temps de production qui est très court. Aujourd’hui je travaille sur le pouvoir, mais la naissance de ce travail vient du fait que j’ai toujours pensé que le travail photographique était une relation de pouvoir en elle-même. A un moment donné, le photographe doit pouvoir dire au photographié : « voila ce que nous allons faire ». Moi je n’ai aucune idée avant la photo de ce que je vais faire. J’ai toujours ce cadre, qui me rassure. Je vais rentrer en interaction. En fonction de la réaction et de mon état, la relation ne sera pas la même. La séance sera unique. Déjà, j’utilise un fond uni qui permet d’enlever le décor. Mes yeux ne vont pas que regarder les traits, je suis aussi attirer par tout ce qui est autour de toi. Si tu n’as rien autour de toi, avec un fond simple, tu te retrouves «coincé» sur le visage. Tu ne peux pas aller dans un détail qui va perturber. Dans mes influences, il y a les peintres de la Renaissance, et un truc que je déteste chez eux c’est tous ces éléments de symbolisme qui s’accumulent. Tous les éléments sont la parce qu’il y a une signification, mais je trouve cela trop encombrant. Si je fais des photographies, c’est parce qu’un j’ai lu une phrase du cinéaste Robert Bresson disait : «sois sur d’avoir épuisé ce qui se communique par l’immobilité et le silence». On est dans un monde du «zapping», où tout est en flux, et au final, ce que je retiens, c’est peu de choses. La photographie, c’est quelque chose de fixe, et qui oblige à regarder.

Olivier Roller (7)
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Camera Obscura : Est ce vous rêvez de photographier des personnes précises, un but précis dans tout ce que vous faites ?

Olivier Roller : Depuis un an, mon travail est de photographier le pouvoir en France au début du 21e siècle. Donc de décliner le pouvoir par des groupes de gens : politiques, publicitaires, financiers, etc. il y aura même une série de «conseillers». J’adore ce terme, il est aussi un mot «valise» qui ne veut rien dire. Et mon but est de résumer une société par ceux qui la dirigent, ceux qui ont une influence sur le chemin que prend la société et d’en laisser une trace. Dans mes travaux, je dois moi, photographe, prendre sur le pouvoir sur le photographié. Je suis d’autant plus à l’aise lorsque la personne en face de moi tente de me « faire faire » ce dont elle a envie. Si je dois provoquer, faire quelque chose pour que cela sorte, ca devient beaucoup plus intéressant. Donc, à chaque fois que l’on fait un zoom arrière sur ces «confrontations», au lieu d’avoir deux personnes, on est face à la société. Ça c’était mon idée de base. Ensuite, je trouve que dans une raison plus politique dans un sens noble, nous sommes beaucoup trop désengagés, et désinvestis de la politique. A un moment donné, c’est aussi pour questionner le fantasme des hommes de pouvoir. C’est un peu de mettre le doigt sur les fantasmes charriés. Je ne montre jamais mon travail avant qu’il ne soit fini. Les photographiés, j’ai toujours été honnête avec eux en leur proposant d’aller voir mon site internet, avec mes photographies personnelles. Quand ils viennent, ils ont vu auparavant ce que j’ai pu faire, et ils savent. Ils savent que cela fait parti d’un projet, pour un travail personnel. Eux, ne voient rien des photos. Je leur dis qu’ils vont recevoir, à la date de mon choix, une photographie qui sera exclusivement mon choix.

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Camera Obscura : Avez-vous un projet dont vous êtes le plus fier ?

Olivier Roller : Je suis fier de rien, enfin, je doute constamment. Tu ne sais jamais si ce que tu fais est juste. Tu essaies simplement de te dire que tu fais quelque chose pour toi. J’ai plusieurs raisons de le faire, mais la principale je pense reste le fait que j’aime photographier les gens. Il ne faut pas chercher à trop savoir les raisons pour lesquelles on fait quelque chose. A un moment donné, il faut que je sente quelque chose, que cela me bouleverse. Après les photographies que je préfère, si je devais choisir, il y a d’un coté la première photo que j’ai faite pour moi, celle de Jeanne Moreau. De l’autre, les travaux sur les publicitaires m’ont marqué. Je n’en connaissais aucun et je n’ai pas d’intérêt pour la publicité, et ces personnages sont très touchants, ce sont des vieux « dinosaures ». Et ce qui m’intéresse dans le pouvoir, c’est qu’on peut le prendre comme une œuvre de puissance, et on peut aussi le prendre dans l’autre sens. En 2007, quand je photographie des ministres, c’est au moment où face à Sarkozy, la fonction de ministre est plus « un valet de chambre ». Je photographie aussi des publicitaires, alors que cela fait 20 ans que l’âge d’or de ce domaine est révolu. De même pour les financiers face à la crise. Là où ça devient intéressant, c’est lorsque la personne peut vaciller, et c’est ce que je recherche dans une relation photographique, réussir à capter ce qui est fort mais peut être aussi tangent.

Olivier Roller (5)
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Camera Obscura : Etes vous un grand consommateur de médias ?

Olivier Roller : Oui, je les mange. je lis toute la presse, le papier, le web, la radio, peu importe. Toutes les semaines je feuillette, je lis un article, je m’abonne. Tout n’est pas bon dans tout média, mais il y a des choses qui vont m’intéresser, d’autres non, je sélectionne. A défaut d’aimer quelque chose, rien que le fait de comprendre ce que fait une personne, cela permet de voir une certaine honnêteté chez la personne et de comprendre où celle-ci va. Je passe mon temps à me vider lorsque je fais des photos, et j’ai besoin de me nourrir après. Je lis aussi des romans, des trucs qui servent à rien, des livres parfois ennuyeux, et j’ai du mal à tout finir, mais au moins j’ai parcouru des pages. Et tout est formidable. Concernant Fubiz, à un moment donné, je pense que cela pourrait être intéressant d’avoir un peu plus de texte, quitte à ce que le texte ne soit pas au début de l’article. Mais cela revient à beaucoup de travail.

Olivier Roller (4)
© Olivier Roller
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Camera Obscura : Pouvez vous me citer vote réplique de film préférée ?

Olivier Roller : Là, de but en blanc, non… Si, Bruce Willis dans Piège de cristal, qui est accroché à la façade. La réplique est ridicule en soi, mais c’est une grand brute qui saigne et il se dit «Think» (Pense). Le film, je ne l’aime pas du tout, mais c’est intéressant car la brute se met à réfléchir à un moment précis. Tu vois Bruce Willis, à ce moment, le personnage et en même la personne dans la vie, ce qu’il est, le pro-Bush, ainsi de suite, se dire «Think ». Mis dans le contexte, cela fait que c’est « grandissime », entre guillemets.

Olivier Roller (3)
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Camera Obscura : Quel est le moment que vous préférez dans la journée ?

Olivier Roller : Cela dépend des journées. Non j’en sais rien du tout. Il y a mille moments en fait dans la journée. Le moment que je préfère, c’est la fin des séances. Parce que quand ca c’est bien passé, c’est très particulier : comme lorsque tu fais l’amour avec quelqu’un pour la première fois, tu es nu et quand c’est fini, tu te regardes et te dis «il s’est passé quelque chose, qui aurait pu partir dans une toute autre direction, et tu ne sais pas comment te comporter». C’est cet entre-deux, ce moment à part.

Olivier Roller (2)
© Olivier Roller
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Camera Obscura : Trois adjectifs pour vous décrire ?

Olivier Roller : (prend un livre) , un ami avait écrit sur moi , cela m’avait horrifié : « dans sa manière d’être, d’être face à l’autre, de bouger etc… sa manière de dire souvent «bof», qu’il s’en fout, qu’il s’en tape, je ne sais pas, etc…». Je ne sais pas ce qui pourrait me définir. Je dirais que je ne crois pas en Dieu, mais je suis baptisé protestant, et en vieillissant je me rends compte que je suis hyper-protestant, mais culturellement parlant et pas dans la foi. Ma photographie est plutôt celle d’une personne psychorigide et c’est ce que j’aime. J’aime l’idée d’épurer le plus possible. Au fond, cela se résume selon moi à la question : «Jusqu’où peut-on enlever ?». Donc pour les trois termes : protestant culturellement parlant, l’immobilité pour la photographie. Enfin pour moi, tout est toujours mêlé, et je prends indirectement des photos de moi. Souvent, ce que je fais depuis quelques séances, je mets le retardateur et je viens me coller près de la personne que je prends en photo, et de temps à autres c’est vraiment bien, et c’est le début d’un autoportrait.

Olivier Roller (1)
© Olivier Roller
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Ce qui est écrit dans la main de mon père, par Eric Keller /fr/2011/eric-keller/ /fr/2011/eric-keller/#comments Sat, 12 Feb 2011 08:40:04 +0000 /?p=4358 Related posts:
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Photo de Eric Keller (12)
© Eric Keller
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Texte et photos suivantes de Eric Keller.

 

Je me demande parfois à quoi ressembleraient mes photographies si j’étais né ailleurs qu’à Dunkerque.

Lorsque j’étais enfant, nous allions attendre mon grand-père à la sortie des chantiers navals. Mes grands parents paternels étaient polonais, immigrés en France au début des années 30. Aujourd’hui encore, je me souviens des légendes de Pologne, d’Ukraine, de Lituanie, d’aventures vécues dans leur enfance aussi, qu’ils me contaient dans un français ponctué d’expressions dans leur langue natale. Leur accent enrobait leurs histoires d’un mystère supplémentaire.

Karol Keller était grutier au quai d’armement des bateaux. Avant l’ouverture des portes, nous nous installions en surplomb de l’immense chantier, sur une haute dune creusée d’abris et de souterrains datant des dernières guerres. Nous prenions soin d’éviter les cheminées d’aération, profondes comme des puits qui s’ouvraient au ras du sol, sans protection, cachées par les herbes.

Photo de Eric Keller (11)
© Eric Keller
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Le regard embrassait le port, se perdait à l’horizon, sur la mer grise, au delà du phare et de la jetée. Nous contemplions, depuis notre promontoire, le fourmillement humain autour de la coque en construction.

Fumées, gerbes d’étincelles, arcs électriques aveuglants trouaient la carcasse gigantesque d’où s’élevait une lourde rumeur ponctuée de chocs et de grincements.

La grue que manœuvrait mon grand-père dominait cette agitation. Je l’observais alors qu’elle soulevait des charges, avançait, virait, comme un grand jouet.

Enfin, lorsque après des mois de travail, la coque était achevée, on la faisait glisser en grande cérémonie dans le bassin dont le mastodonte d’acier affolait les eaux troubles en vagues énormes. C’était comme un monstre marin capturé par les hommes et dompté par des remorqueurs au bout de câbles d’acier tendus.

Photo de Eric Keller (10)
© Eric Keller
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Il arrivait aussi qu’en s’aventurant au bord des cales sèches, on puisse approcher l’un de ces Léviathan dont les hautes parois rouillées évoquaient un Moby Dick prisonnier dans la cage d’un zoo.

Comme la peau épaisse d’un pachyderme centenaire, la tôle portait des traces de blessures, infligées par l’eau salée de tous les océans du monde.

Sur la peinture écaillée, rongée par la rouille, on devinait le nom du vaisseau, tracé en cyrillique ou en idéogrammes asiatiques et on s’interrogeait sur les hasards qui l’avaient mené jusque là.

Sous la ligne de flottaison, les mollusques incrustés dessinaient des chaînes de volcans, des cordillères des Andes.

Karol avait entrepris de fabriquer un modèle réduit de sa grue, auquel il apportait des améliorations techniques. Combien d’heures avons-nous passées, mon frère et moi dans son atelier sombre et poussiéreux, jonché de copeaux de bois, à le regarder assembler et souder minutieusement les pièces de laiton qu’il avait découpées !

Nous l’imitions en manipulant maladroitement de nos petites mains ses merveilleux outils patinés et polis par l’usage.

Photo de Eric Keller (9)
© Eric Keller
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Très souvent, les dimanches, nous parcourions en famille, en de longues promenades, les dunes et la vaste plage qui étale son interminable ruban de sable, au delà de Zuydcoote, vers la Belgique.

De leurs orbites noires, tournées vers la mer, les blockhaus suivaient notre progression.

Quels songes douloureux ces crânes de béton abritaient-ils ?

Ne chuchotaient-ils pas dans le vent du Nord ?

Si une tempête nocturne déplaçait le sable et exhumait les flancs de l’un de ces titans, surpris, nous le découvrions au détour d’un chemin cent fois parcouru, ignorant qu’il se tenait enfoui si près de nous.

Photo de Eric Keller (8)
© Eric Keller
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Ces colosses de béton, ravinés, lézardés, mutilés, basculés, étaient nos mystérieux temples d’Angkor, nos géants de l’île de Pâques, les inquiétants vestiges d’une civilisation disparue.

Certains soirs d’hiver, longeant ces ruines étranges, nous restions stupéfaits devant leur lourde silhouette, plus opaque que la nuit, comme des trous noirs dans l’espace.

Tandis que les cheminées de l’aciérie des dunes les empanachait d’épaisses fumées pourpres, l’acier en fusion jailli des hauts fourneaux incendiait les nuages mouvants et les couronnait d’auréoles de feu.

Photo de Eric Keller (7)
© Eric Keller
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Des voies de chemin de fer longeaient l’extrémité de notre jardin.

Jour et nuit, des convois de hauts wagons aux flancs déformés approvisionnaient en métaux une usine des environs.

Ainsi cheminait lourdement l’offrande à un Moloch constamment affamé que nous entendions parfois hurler au delà des bois.

Repu, il exhalait des fumées qui déroulaient des intestins rougeâtres dans le ciel.

Photo de Eric Keller (6)
© Eric Keller
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Nous nous endormions le soir, bercés par les manœuvres des machines, par les longs crissements des freins et les brefs coups de sirènes étouffés, dans la lueur orange des gyrophares reflétée par les murs de notre chambre.

Photo de Eric Keller (5)
© Eric Keller
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Alors que nous nous tenions postés près des rails, défilaient des chargements de débris de toutes sortes que nous tentions d’identifier.

Mais, de temps à autre, au lieu de ces amas rouillés, des engins plus curieux encore avançaient en procession : la motrice tractait lentement une longue chenille de citernes renfermant de l’acier en fusion, un nectar brûlant dont la chaleur faisait fondre la neige sur tout le trajet et nous faisait reculer à son passage.

Par la fente de chaque couvercle brillait un iris de magma chauffé à blanc. Paupière mi-close d’un cyclope.

Craintifs, nous le sentions prêt à s’éveiller et à déverser ses tentacules de lave en une terrible éruption.

Ce spectacle croisait dans mon imagination les délires graphiques de Druillet, les visions infernales de Bosch et les évocations d’entités telluriques pré-humaines de Lovecraft.

Si un cheminot apparaissait sur le train, nous nous étonnions de sa présence, tant ces machines nous semblaient autonomes et animées d’une puissance propre.

Nous nous figurions une attraction magnétique, qui, au gré de ses inversions provoquait le flux et le reflux de ces pesantes caravanes.

Au milieu des années 80, j’ai débuté cette série d’images du port de Dunkerque. C’était l’époque où l’on commençait à démanteler les chantiers navals. Alors que j’examinais les poutrelles amputées de grues découpées au chalumeau – des enchevêtrements noircis d’une étonnante majesté – j’ai compris qu’une époque était révolue et que ces lieux que j’aimais étaient en train de disparaître.

Photo de Eric Keller (4)
© Eric Keller
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Un après midi, j’ai photographié mon père sur l’un des quais de déchargement.

A l’approche de la soixantaine, il avait fait retravailler le tatouage qu’il avait depuis longtemps sur le poignet. Un tatoueur d’Ostende en avait harmonisé les formes et y avait ajouté des couleurs. Puis, successivement, les dessins à l’encre lui ont couvert les deux bras, le dos et le torse. Chacun constituait pour lui un symbole intime.

Photo de Eric Keller (3)
© Eric Keller
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Il connaissait bien le port, son métier de routier l’y amenait souvent. D’une certaine façon, ces lieux lui ressemblaient.

La photo de sa main : mieux qu’un portrait, cette image le renferme tout entier.

Il était à la fois le secret caché au creux de sa paume, la violence contenue, la menace du poing serré et la caresse tendre, dont je crois encore sentir le contact rêche.

Inutile d’être chiromancien pour lire les tourments inscrits plus profondément que ses tatouages dans ses doigts déformés, l’ongle fendu et l’annulaire sectionné.

Étrangement, la main de sa mère présentait la même cicatrice et ce manque douloureux les reliait plus sûrement que la marque du cordon ombilical.

Photo de Eric Keller (2)
© Eric Keller
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A chaque fois que j’écoute The writing on my father’s hand de Dead Can Dance, j’associe la voix puissante et mélancolique, portée par la mélodie ténue et fragile, à l’image de ce poing fermé qui s’abandonne.

C’est tout près de l’endroit où, confiant et complice, il s’est prêté de bonne grâce à mes indications, qu’il a, un soir de novembre, renoncé à vivre.

Comme dans les bunkers de la côte qui gardent tant de souvenirs, sur les quais déserts je cherche aussi des fantômes.

 

Pour plus d’informations à propos de Eric Keller et son travail lisez l’article déjà paru sur Camera Obscura Par les yeux de la Sibylle ou visitez son site personnel :Eric Keller.

Photo de Eric Keller (1)
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Hors-champs, Hors promotion, par Remi Rebillard /fr/2010/remi-rebillard/ /fr/2010/remi-rebillard/#comments Thu, 30 Dec 2010 15:08:00 +0000 /?p=4262 Related posts:
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Remi Rebillard (7)
© Remi Rebillard
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Texte et photographies suivantes de Remi Rebillard.

 

Il fut un temps, je passais mes vacances sur une île près de la Rochelle, dans la maison d’une personnalité de la photographie. Irrésistiblement attiré par l’image, il m’arrivait de regarder furtivement son travail sur les boîtes lumineuses de l’époque, il était aussi un maître du nu !

Photographier une femme nue, c’est le risque absolu. « Le résultat peut être refoulant, pudibond ou vulgaire », disait Philippe Sollers, comme le photographe lui-même dans la plupart des cas.

Aujourd’hui ce que j’écris n’a plus beaucoup de sens puisque Internet et les téléréalités nous diffusent de l’imagerie exhibitionniste et grimaçante, destinée aux profanateurs.

Photo 1

Remi Rebillard (12)
© Remi Rebillard
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Cette image est peut-être ma préférée, la lumière solaire filtrée sur l’épaule, bénédiction du temps, la modèle avait tout compris ce jour-là, même si quelques fois, très rarement, les réticences saisies peuvent devenir des moments de grâce. Brassaï disait: « La vie ne fournit que l’accidentel, et la tâche de l’artiste est de transformer cet accidentel en immuable ». Doisneau disait aussi que « pour être photographe, il suffit de savoir regarder à l’envers ».

Photo 2

Remi Rebillard (11)
© Remi Rebillard
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Pour en revenir à un moment de grâce, et comme j’aime le coté mystérieux de cette image, je ne commenterais pas sur l’impact médiatique de celle-ci.

J’étais intéressé par la volonté de cette femme à se dissimuler dans une burqa pour ne pas “s’exhiber”. Je me sentais l’âme d’un voyeur. La fascination qu’exerce sur chacun la vision de ce corps est sans doute aussi vieille que l’humanité et est probablement jusqu’à présent plus forte que les interdits religieux.

Remi Rebillard (9)
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Un ami artiste, Bertrand Jubert, m’a écrit récemment sur cette photo : « Contraste puissant de forme, de ton, de texture et d’idéologie dans une harmonie infaillible. J’ai autant envie de caresser cette fesse lisse que ce mur granuleux»…Une remarque qui n’est pas sans me rappeler le mot de Louis Jouvet, qui avait en plus de son immense talent, l’humour et la dérision. Ainsi quand il rencontrait un homologue ou un artiste, il na manquait pas de lui serrer la main en lui disant : « Serrons-nous la main, le talent n’est pas contagieux ! »

La lumière

Gaspard Felix Tournachon, grand portraitiste, disait qu’il pourrait apprendre la technique à son cocher, mais que si ce dernier n’avait aucun sens de la lumière, il ne pourrait rien pour lui.

Remi Rebillard (8)
© Remi Rebillard
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Je revendique le daylight, la lumière du jour à travers les Skylights (verrières au plafond) exposés au nord comme à New York, dans mon petit atelier, sur la 11ème rue.

J’aime le mélange de Kino-flo filtrés, ou les back-light (contre-jour solaires filtrés, mixés avec des flashes électroniques).

J’aime les « accidents de lumière » , que l’on découvrait sur les polaroids , surement parce que je perd la mémoire, et qu’au fil du temps , elle est devenue plus sélective .

Remi Rebillard (6)
© Remi Rebillard
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J’aime les contrastes, les ciels sombres, les chairs caramel claires, les mouvements, les vagues, je suis fasciné par le résultat des longs temps de pause, lies aux mouvements , par les surprises, les accidents ou les moments souvent peu visibles à l’œil.

Il m’a été proposé à plusieurs reprises à New York de parler de ma technique sur une photo choisie par le magazine. En dépit de mes explications, le journaliste me demanda de rajouter des sources de lumières, flashes ou autres car, pour lui, il n’y en avait pas assez !!

Nous sommes bien aux États Unis, le pays du gigantisme, et des excès, le pays du toujours plus, alors qu’une image, à la lueur d’une bougie peut devenir une réussite, ou une certaine forme de la grâce.

Remi Rebillard (5)
© Remi Rebillard
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Imaginez la réaction de la production qui demanderait mes besoins en matière de lumière, pour la prise de vue d’une starlette ? Des bougies!…

Le « noir et blanc » et la couleur

Je pense toujours d’abord à la célébrité parisienne, que j’ai eu l’occasion de connaître un peu, et qui disait dans son livre (Écrire avec la lumière) : « Le noir et blanc, c’est comme un smoking. Facilement élégant, mais sans la grâce, il n’y a qu’un pas entre Fred Astaire et un maître d’hôtel ».

Remi Rebillard (4)
© Remi Rebillard
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J’aime les contrastes en monochrome avec du détail dans les ombres. Je citerais évidemment le Brésilien qui vit à Paris, Sebastião Salgado, probablement le plus copié. Face au petit écran de mon computer, je suis revenu hier sur le travail de Sarah Moon, qui a longtemps marqué mes débuts, pour ses images typiquement féminines. Le noir et le blanc sont souvent utilisés ensemble pour symboliser une dualité totale. En peinture, ces couleurs permettent de donner l’impression de lumière, de créer les contrastes.

Remi Rebillard (3)
© Remi Rebillard
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De mon côté, j’ai plutôt recherché et travaillé mon style à l’aide de couleurs, de gels, de filtres, de bleus, de verts. Des manipulations de films en Laboratoires. J’ai appris très tôt, dans ma carrière à Paris, au contact des maquilleurs qui, eux, manipulaient les matières et les couleurs, et plus précisément avec Jose Luis qui disparut très jeune au début des années 90. Il était le créateur et le directeur artistique des maquillages Yves Saint Laurent. Le maquillage a, pour moi, une part importante dans l’élaboration de la lumière.

Swimmer on the beach

Remi Rebillard (10)
© Remi Rebillard
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Je viens de photographier cette nageuse, le 25 décembre vers 7 heures du matin à Miami. Elle passait durant cet instant magique. La température était de huit degrés Celsius .

Bien que le noir et le blanc restent les couleurs et le symbole pour les images anciennes, il m’arrive d’être fasciné par la nouveauté que peut avoir une image monochrome de mode ou de beauté.

Remi Rebillard (2)
© Remi Rebillard
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Les photographes qui m’intéressent aujourd’hui sont : Sebastião Salgado, Sarah Moon, Irving Penn, Bill Brandt, Francis Giacobetti, Mondino, Steven Klein , Bruce Weber, ou Paolo Roversi qui aurait dû vivre au siècle dernier. Je peux aussi être surpris par une série d’un jeune photographe. Je regarde souvent le travail de l’artiste Javier Vallhonrat, les poses des mannequins y sont toujours très travaillées. je reviens régulièrement sur les images de Newton, ou Avedon, et j’en oublie…

Remi Rebillard (1)
© Remi Rebillard
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Primates et Immaculate, par Ruben Brulat /fr/2010/ruben-brulat/ /fr/2010/ruben-brulat/#respond Thu, 18 Nov 2010 13:53:06 +0000 /?p=4215 Related posts:
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Ruben Brulat (9)
© Ruben Brulat
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Photos suivantes de Ruben Brulat, textes1 de Dan Nisand.

Primates

Il y a, dans la démarche de Ruben Brulat, quelque chose de romantique, au sens dix- neuvièmiste du terme. Son travail est celui d’un solitaire, exalté et mystique, lancé dans une quête qui le confronte aux limites et lui ouvre les portes d’une appréhension nouvelle du monde. Autrefois, à la suite d’Amiel, toute une génération avait proclamé que « chaque paysage est un état d’âme », et plongé son regard dans des perspectives sans fin, accidentées comme la vie, torturées comme le sentiment humain. Une fascination que l’on retrouve nettement dans cette nouvelle série de photographies, intitulée Primates.

Ruben Brulat (11)
© Ruben Brulat
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Pourtant, quand un Friedrich suggérait la grandeur humaine en représentant une silhouette anonyme absorbée dans le spectacle d’une mer de nuages, Brulat, lui, renverse l’expérience, en l’immergeant dans la réalité. Chez lui, il ne s’agit plus d’évoquer la grandeur d’un caractère, mais celle de la Création elle-même, où l’humain, en tant qu’espèce, cherche sa place.

Ruben Brulat (10)
© Ruben Brulat
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Parmi les rochers, la neige et la glace hostiles, peu disposés à accueillir la vie, voici un corps sans identité, totalement nu et démuni. Parviendra-t-il à se fondre dans ce décor, dans cet infini d’accidents ? Saura-t-il s’apparenter à la bête qui, établie en son milieu, règne sur son territoire ? Elle est bouleversante, la tentative désespérée de cet être de faire corps, justement, d’être accepté, ou ré-accepté, par une matrice dont la substance humaine est étrangement exilée. Le voici ravalé au rang d’espèce, comme un homme d’avant les millénaires, forcé de se connaître et de s’adapter aux déterminations extérieures qui ne sont que menaces.

Ruben Brulat (8)
© Ruben Brulat
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Car il est impossible de faire abstraction des conditions de la réalisation de ces clichés : la prise de risque, l’émotion intense, la féerie et l’exploration des limites sont palpables. On perçoit que l’artiste répond à tous ses instincts, qu’il s’offre tout entier et se laisse atteindre par les choses. Si parfois un coussin de neige semble plus accueillant, plus moelleux, le spectateur ne peut réprimer le frisson que déclenche en lui ce corps soumis sans défense à la dévoration des éléments. Il ressent l’urgence, l’impossibilité de penser, mais aussi la rapidité et la volupté inattendue de l’action.

Certes, il ne se crée pas l’illusion que la fusion avec la nature soit possible sans lutte ni conditions. Mais cette série raconte une quête, avec son lot d’espoirs déçus et de tentatives avortées, et au bout du chemin, un fugace mais incontestable triomphe. Celui d’être parvenu, ne serait-ce que pour un instant et dans l’ivresse du moment, à créer la symbiose : lorsque la figure humaine, comme apaisée, semble se confondre avec un éboulis rocheux, flotter sereinement à la surface d’une nappe d’eau noire aux côtés d’une croûte de glace, ou trouver refuge au creux d’un tapis d’herbe tendre, au vert dense et profond.

Ruben Brulat (7)
© Ruben Brulat
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Immaculate

Chaque soir, le quartier de la Défense, à l’ouest de Paris, se vide de sa population d’hommes d’affaires et d’employés, et se transforme en no man’s land. Car la nuit, ce centre économique international, agglomérat de tours de bureaux poussé comme une forêt d’acier sur une immense dalle piétonne en béton, devient une périphérie, un désert urbain que nul être ne hante.

Ruben Brulat (6)
© Ruben Brulat
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C’est cette ville fantôme qui ne semble rien attendre, que le photographe Ruben Brulat explore, nuit après nuit, de passerelle en parking, de couloir en escalier. Chaque cliché aura demandé à l’artiste des dizaines d’heures d’errance, à la recherche d’un lieu dont le néant lui parle ; un lieu où la lumière, l’architecture, les matériaux et les reliefs composent un décor incongru et tragique. Ensuite, ce sont encore des heures d’observation, d’imprégnation, de rêve. Mais lorsque la vision surgit, elle devient aussitôt désir, exigence impérieuse de réalisation. Pour atteindre à cette symbiose paradoxale qu’il a le don de créer avec ces lieux désolés, l’artiste éprouve le besoin de se mettre à nu, ici, tout de suite. Il doit à tout prix investir l’endroit, s’y projeter en tant qu’être. Partir sans être allé jusqu’au bout est hors de question ; ce serait une faute, au sens moral du terme. Et voici le photographe dans son propre objectif, plongé dans son propre regard, sans vêtement ni artifice.

Ruben Brulat (5)
© Ruben Brulat
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Pour bien comprendre la démarche de Ruben Brulat, il faut se mettre à la place de cet être solitaire qui explore chaque recoin de ce dédale silencieux, et qui décide soudain, au cœur de la nuit, de s’offrir à la froideur d’un lieu, seul et nu, de faire corps avec l’acier, le verre et le ciment. Il faut s’imaginer cette quête, cette traque de l’emplacement, et l’adrénaline qui déferle dans le corps au moment où le photographe se dévêt et s’offre, vulnérable et fragile, à l’horreur d’un espace sans âme et sans histoire.

Ruben Brulat (4)
© Ruben Brulat
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Tout comme il ne peut s’empêcher d’explorer chaque recoin de ce quartier singulier, tout comme il s’interdit d’en ignorer la moindre parcelle, les clichés de Ruben Brulat n’omettent aucun détail. Précis jusqu’à l’excès, ils explorent chaque centimètre de ces espaces trop nets, ou au contraire trop vite dégradés. L’ombre elle-même, habitée par les silhouettes squelettiques des tours vides, est scrutée jusqu’au tréfonds, et révèle ses reliefs gigantesques et abandonnés. Au centre de la composition, le corps nu d’un homme, tour à tour fragile, torturé, auréolé d’un songe, décrit la vie humaine surgie dans le règne de ce qui lui est hostile.

Ruben Brulat (3)
© Ruben Brulat
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Nous sommes au cœur du plus grand quartier d’affaires d’Europe, et il n’y a rien. Ici, le système du pouvoir sommeille en attendant que des êtres de chair et de sentiment reviennent l’actionner. On dirait que seule la créature Économie, qui se nourrit de chiffres, de réseaux, de transactions, parvient à survivre dans cet environnement. Tandis que nous autres humains, qui ne vivons que de sentiments, de sensations, de souffrance même – toutes choses qui, précisément, sont absentes de ces lieux –, n’y avons pas droit de cité.

De photographie en photographie, une métaphore se construit. L’évidence se fait jour que là où le pouvoir économique triomphe, le vivant n’a pas sa place. La vie qui, dans une prolifération joyeuse et irrésistible, s’introduit partout, dans les moindres recoins, a pourtant été chassée d’ici. La végétation elle-même, placée là par des logiciels, semble étouffer dans sa servitude. Elle a beau s’efforcer de reprendre ses droits sur les recoins oubliés par l’urbanisme totalitaire, ses maigres victoires font apparaître la vie comme un phénomène macabre et obscène.

Ruben Brulat (2)
© Ruben Brulat
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À première vue, la série Immaculate relève de la photographie plasticienne. Et pourtant, la présence d’un corps humble et discret, nu sans être provocant, sans sexe, sans identité, la fait basculer dans un tout autre ordre de représentation. Étrangement, une certaine beauté se dégage de cette hideur. Est-ce dû à la présence d’un corps ? À la puissance de l’inspiration du photographe ? Parfois, au gré de ses explorations nocturnes à la Défense, Ruben Brulat vient à croiser un être solitaire, fantomatique, ivre de fatigue ou dévoré de chagrin. Soudain, un timide et insolite « Bonsoir » résonne au milieu du silence. L’humain, malgré tout. C’est peut- être de là que vient ce bonheur total, cette euphorie fébrile qui s’empare de l’artiste lorsqu’il emporte chez lui un de ces clichés surnaturels : la victoire d’avoir arraché un portrait de l’humanité à cet espace qui prive la vie de ses droits essentiels.

Ruben Brulat (1)
© Ruben Brulat
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  1. Traduction en anglais de cet articles sur la page personelle de Ruben Brulat.
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La Traversée imprévue, by Estelle Lagarde /fr/2010/estelle-lagarde/ /fr/2010/estelle-lagarde/#comments Mon, 27 Sep 2010 05:22:52 +0000 /?p=3960 No related posts. ]]> Photo de Estelle Lagarde (3)
Face à Face, série Adénocarcinome, 2008
© Estelle Lagarde
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Texte et photographies de Estelle Lagarde.

 

Le 7 mars 2008, alors que je me prépare à aller visiter un nouveau lieu pour une prochaine série, j’apprends que j’ai un cancer du sein. En l’espace de quelques minutes, je sens une partie de mon espace intérieur devenir trouble, se détacher du Tout. Moi, un cancer ! Comment est-ce possible ? Je le connais le cancer. Il est déjà venu dans ma vie. A deux reprises, il a pris des personnes proches de mon entourage ne manquant pas au passage de faire des ravages dans mon cœur et dans ma tête. Alors que me veut-il encore ? Pourquoi s’en prend-il à moi maintenant ? Autant de questions qui tourneront, tourneront sans trouver de réponse. Les réponses, c’est moi qui les donnerai, au fur et à mesure des jours qui s’écouleront durant les traitements. La photographie, et le travail que je vais entreprendre avec elle face à cette situation, m’y aideront.

Photo de Estelle Lagarde (11)
10 août, série Adénocarcinome, 2008
© Estelle Lagarde
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Très vite il me faut trouver un dérivatif. Je ferai quelque chose de ce cancer, ce n’est pas lui qui fera quelque chose de moi. Ou plutôt si. Mais pour le mieux. Ça sera forcément pour le mieux. C’est ce que je décide.

Je me vois obligée de mettre de coté mes autres projets. Dans la vie, il ne se passe pas toujours ce que l’on prévoit, il faut s’attendre à tout.

Photo de Estelle Lagarde (10)
12 avril, série Adénocarcinome, 2008
© Estelle Lagarde
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Au lieu d’explorer un nouvel intérieur et de m’en inspirer, je vais explorer mon propre intérieur pendant ces neuf mois de traitements. Cette fois-ci il n’y plus de décor, plus de dialogue entre des personnages et l’espace dans lequel ils errent. Les contraintes des prises de vue s’imposent à moi : cancer du sein = opération chirurgicale + chimiothérapie + radiothérapie = fatigue. Oui mais quelle fatigue ? Je vais au plus simple, prudente. Les prises de vue se feront chez moi, je tends un fil à linge perpendiculairement à la fenêtre de mon petit studio pour pouvoir y suspendre des fonds. Ceux-ci seront neutres. Ne pas compter sur le temps ou l’énergie pour des choses sophistiquées. Je ne pourrai peut-être même pas faire ce projet. Et puis quel projet ? Je ne sais pas trop. Je sais juste que j’ai des choses à dire et à faire autour de ce thème qui me pourrit la vie depuis plus de 5 ans maintenant.

Photo de Estelle Lagarde (9)
16 juin, série Adénocarcinome, 2008
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Je commence avec un portrait, deux portraits, trois portraits, et l’écriture vient s’ajouter aux images. Il y a trop de choses à dire. Je veux aussi m’adresser à toutes les femmes qui sont touchées. Je voudrais leur dire de ne pas avoir peur, d’être confiantes. Parfois j’ai envie d’en rire de ce cancer. Mon compagnon pas du tout. il m’arrive de ressentir un décalage entre nous. Il est plus angoissé que moi. Mon appareil photo me soutiendra pendant ces mois de traitement sans jamais me renvoyer ces doutes ou ces malaises vis à vis de la maladie. Je m’autoriserai avec la photographie et ce travail d’autoportrait, à tourner en dérision certaines situations ou sensations vécues, je m’autoriserai à une mise à nu, à me montrer le crâne à l’air, alors que je ne le peux dans la vie de tous les jours car je supporte mal le regard des autres. Il me permettra un dialogue avec moi-même, et peu à peu, je retrouverai le petit bout de moi qui s’était détaché lors de l’annonce de la maladie.

Photo de Estelle Lagarde (8)
17 juin, série Adénocarcinome, 2008
© Estelle Lagarde
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Vendredi 21 mars

Maintenant, je suis TRÈS en colère.

Je décide de faire une série d’autoportraits. J’ai une vague idée de ce qui va m’arriver, mais je ne sais pas du tout comment je vais vivre les différentes étapes du traitement. Je sens que cette dimension artistique va m’aider et que cela aidera peut-être d’autres femmes.
J’ai peu de temps pour me préparer. Les photographies seront argentiques, en noir et blanc. Je me procure un appareil photo moyen-format. Pour des portraits, le format 6×7 me paraît préférable au 6×6. Les prises de vue se feront dans mon petit studio. J’ai juste le recul nécessaire dans une partie de la pièce, près de la fenêtre. Cela devrait suffire.1.

Photo de Estelle Lagarde (7)
27 juillet, série Adénocarcinome, 2008
© Estelle Lagarde
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Vendredi 20 juin

Pour certaines images, j’utilise un miroir. Il est le témoin du lien qui m’unit à la photographie. Je réalise à quel point l’appareil photo m’accompagne dans toutes ces étapes. Depuis quelque temps nous formons un couple indissociable. Il est le regard social décalé.

Photo de Estelle Lagarde (6)
28 juillet, série Adénocarcinome, 2008
© Estelle Lagarde
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Je sais que je n’assumerai pas mon image « crâne rasé » en société, mais je ressens un fort besoin de m’approprier cette nouvelle identité, cette Estelle-sans-cheveux. L’appareil photo n’est plus seulement une sorte de médiateur entre la société et moi, mais il me semble qu’il représente les autres, qu’il est le regard des autres.

Et si je ne peux montrer à autrui cette image de moi, j’ai besoin de savoir que demain je pourrai le faire pour m’accepter aujourd’hui.2

Photo de Estelle Lagarde (5)
29 août, série Adénocarcinome
© Estelle Lagarde
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Mardi 15 juillet

Tunisie. Un hôtel à Djerba.

L’endroit « idéal » pour se reposer : on passe son temps à manger, dormir et se prélasser à la plage où à la piscine. Exactement ce qu’il me faut, vu mon état qui ne me permettrait pas de faire le tour du monde, même si je le voulais.

D’ailleurs je remarque que si mon corps est épuisé et réclame du repos, ma tête, elle, n’est pas fatiguée. J’ai envie de faire des choses. Des photographies par exemple, c’est plus fort que moi.

Photo de Estelle Lagarde (4)
31 août, série Adénocarcinome
© Estelle Lagarde
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J’ai emporté mon 24×36, plus léger et plus discret. Et puis surtout son retardateur va m’être très utile car je ne peux pas utiliser la poire du déclencheur si je veux me mettre en scène à certaine distance de l’appareil photo.

J’aime la photographie argentique pour sa capacité à garder le mystère entier jusqu’au développement. Je devrai attendre de rentrer à Paris pour savoir quelles seront ces images.
Le résultat m’importe peu. Je dois les faire. C’est tout.

Ce soir, j’inventerai un personnage errant dans les couloirs déserts du grand hôtel endormi. Peut-être à la recherche d’un autre lui-même, 2440.3

Photo de Estelle Lagarde (2)
Le Salon, série 2440, 2008
© Estelle Lagarde
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2440

J’ai emporté ce personnage tout de blanc vêtu dans ma valise sans savoir quel serait le décor de ses errances, ni s’il y aurait vraiment un décor.

Je savais que ce costume pourrait me permettre de trouver un autre voyage, un voyage qui me conduirait plus loin encore. Mais je ne savais pas comment. Je n’imaginais pas que ce double m’aiderait à trouver ma place dans cet hôtel, puis, par extension, dans un rapport social, et qu’un jeu s’instaurerait entre nous quatre.

Et je suis surprise de voir que ces lieux ordinaires sont étonnants à mes yeux, que ces ambiances m’inspirent.

Si je n’ose me montrer chauve le jour, cela m’amuse de me promener seule la nuit, dans l’ombre et le silence, de me farder et de m’habiller pour aucun autre spectateur que mon appareil photo, de m’inventer un monde si différent de celui du jour, un monde que personne ne voit, que personne n’entend. Un monde secret.4.

Photo de Estelle Lagarde (1)
Les Parasols, série 2440, 2008
© Estelle Lagarde
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  1. Extraits du livre la Traversée Imprévue – Adénocarcinome, Editions la cause Des Livres, textes et photographies Estelle Lagarde, parution octobre 2010
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Ibid.
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Light Painting: l’art de la lumière en mouvement, par Patrick Rochon /fr/2010/light-painting-patrick-rochon/ /fr/2010/light-painting-patrick-rochon/#respond Sat, 20 Feb 2010 20:49:32 +0000 /?p=3993 Related posts:
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Patrick Rochon (9)
© Patrick Rochon
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Texte et photos suivantes par Patrick Rochon, traduction de Suzanne Mennechet.

 

J’ai commencé le Light Painting (Peinture de Lumière), à Montréal (Canada) en 1992. Je faisais aussi de la photographie plus traditionnelle mais en 1997, sur un vol Tokyo –New York, j’ai réalisé que je voulais consacrer tout mon temps a cet art : je me suis officiellement déclaré Peintre de la Lumière et n’ai plus jamais utilisé d’autre technique. Tout ce que je fais maintenant implique le mouvement de la lumière. Avec le Light Painting, j‘aime collaborer avec des danseurs et des performers, tirer des portraits également travailler dans la mode, les voitures, des produits haut de gamme, des nus.

Quand j‘ai commencé à faire du Light Painting avec mes amis j‘ai très vite réalisé que quelque chose de spécial se passait. Je pouvais voir un autre monde dans les images, quelque chose qui n ‘existait pas avant ou quelque chose qui n’était pas là dans le noir et qui apparaissait quand j’ouvrais l’obturateur. Comme si l’imagination venait juste d’entrer. Au lieu de prendre une photo, je montrais quelque chose de nouveau que l’œil ne peut pas voir. La lumière s’est allumée dans ma tête !

Patrick Rochon (6)
© Patrick Rochon
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Ceci est la première photo en Light Painting qui m’a fait suivre mon chemin. Elle a été faite avec mon amie Christine Lavoie. Elle pose nue et vous pouvez me voir bouger dans le fond, peignant la lumière autour d’elle. Au niveau de la lumière, je n’avais aucune idée de ce que je faisais alors, pas plus que maintenant la plupart du temps.

La base du Light Painting est simple et amusante. Voilà comment ça marche : La nuit ou dans le noir, tu mets ton appareil photo sur un trépied ou sur une surface stable puis tu ouvres l’obturateur de ton appareil pour un temps de sur exposition, par exemple de 15 ou 30 secondes et avec une lampe torche tu bouges autour de ton sujet. Quand tu as fini, tu fermes l’obturateur et voilà, tu as du Light Painting. Le temps d’exposition peut durer aussi longtemps que tu veux ou aussi longtemps que peut le faire ton appareil photo. Tu peux faire du Light Painting sur un sujet ou tourner la source de lumière vers la lentille pour créer des lignes et dessiner ce que tu veux.

Patrick Rochon (1)
© Patrick Rochon
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Maintenant cela devient plus simple avec les appareils numériques parce que tu vois immédiatement les résultats mais presque tout le travail sur mon site a été fait sur pellicule, avant l’avènement du numérique, et je devais toujours attendre plusieurs jours avant que ça revienne du labo. Le Light Painting est très dur à contrôler mais te pousse à suivre et à faire confiance a ton instinct. C’est travailler avec ton intuition qui le rend intéressant. En moyenne, j‘avais 1 ou 2 bonnes images sur un film de 36 poses. Maintenant avec un appareil numérique, en voyant immédiatement les résultats, j ai une meilleure idée de ce que je suis en train de faire et en réajustant mes lumières d’une prise a l’autre je peux pousser plus loin et obtenir de meilleurs résultats. Un autre avantage avec le numérique est de pouvoir faire des ajustements sur Photoshop ou sur tout autre logiciel de création photos. Je ne rajoute pas de lumières dans Photoshop, j ‘éclaircie ou j ‘assombrie (dodge and burn) et je retouche la peau quand c’est nécessaire. Même si utiliser de la pellicule est plus difficile, ça a du charme et le grain que tu obtiens est très beau, surtout pour les grands tirages.

Patrick Rochon (2)
© Patrick Rochon
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Regardons de plus près certains de mes Light Painting.

J’habitais à New York quand j’ai exposé à la galerie K.O.A.P dans East Village. Katsu, le propriétaire décida de monter une exposition au Japon avec quelques uns de ses collaborateurs, il nous a donc installé à la galerie T.Y.K.2 à Tokyo. Dès mon arrivée, je suis purement et simplement tombé amoureux de ce pays. J’ai laissé le vol du retour se faire sans moi et avec deux sacs à dos et 1000 dollars en poche, j’ai fini par vivre 10 ans au Japon. Oui, ça a complètement changé ma vie. (Merci la vie !)

Patrick Rochon (3)
© Patrick Rochon
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Quand j‘étais là bas, j’ai rencontré des membres de Sal Vanilla, une compagnie de danse de Butoh. C’est une technique de danse contemporaine née dans les années soixante. Nous avons commencé une série de collaborations, d’abord en Light Painting, puis en vidéo et finalement en performances live. Cette collaboration entre Sal Vanilla et moi était une véritable symbiose. Nous étions comme un seul organisme créatif. Sans avoir besoin de parler, vraiment sur le plateau peu de mots étaient prononcé, nous avons crée une série d’images qui n’avaient jamais été vues auparavant, quelque chose de vraiment nouveau. Ils bougeaient de manière tellement unique et prenaient forme avec leurs corps comme s’ils avaient un cerveau en commun. C’était comme une créature faite de différents corps. Avec un sujet pareil, la lumière que je créais était bien au delà de tout ce que j’avais fait jusqu’alors.

C’était la bonne touche, les bonnes couleurs, le bon timing, le bon temps d’exposition. Cela ne se passe pas toujours comme ça. Certains tirages sortent bizarrement avec parfois des résultats décevants mais avec Sal Vanilla, tellement d’images étaient excellentes. Sur un film de 36 poses, j’obtenais au moins 12 images fortes et uniques. Plus de photos sur : Butoh.

Patrick Rochon (4)
© Patrick Rochon
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J’ai fini par réaliser, d’un shooting a l’autre, que le résultat est toujours une accumulation de tout ce qui s’y rapporte. Par exemple, dès le début, ta vision, ton inspiration ou ton intention, les gens impliqués, ta façon de partager et de t’entendre avec eux, le temps qu’il fait ce jour là, ton sommeil de la veille, le temps et les efforts investi dans l’élaboration de ton projet…tout influence tes prises de vues. Alors si tu veux faire un bon shooting, donne tout ce que tu as, travaille avec des gens avec lesquels tu t’entends bien et crée une bonne ambiance en mettant les gens a l’aise, choisi une musique adéquate et amuse toi. Soit enthousiaste et minutieux dans tes préparatifs et jusque dans les moindres détails. C’est un processus alors c’est la manière dont tu vas jusqu’à ta destination qui fait le voyage plutôt que de focaliser sur ton point d‘arrivée.

Patrick Rochon (5)
© Patrick Rochon
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Aussi, quand j’étais au Japon, le photographe Mark Higashino m’a présenté Itaru Sugita, directeur artistique et graphiste. En 1998, j’étais passé lui dire bonjour à son bureau à Tokyo, il travaillait sur une présentation pour la Toyota Altezza, la nouvelle voiture à l’époque. En le regardant travailler je lui dit : “ pourquoi ne fais tu pas du Light Painting dessus ? “ je plaisantais bien sur, je n’aurais jamais imaginé cela possible. Tout ce que j’avais à ce moment là en tant que Peintre de Lumière se résumait à des portraits et à quelques corps entiers. En plus je faisais du Light Painting directement sur le sujet, je n’en n’avais encore jamais fait dans un espace vide en pointant les lumières vers l’appareil en tournant autour du modèle. Après avoir écouté mon idée, celle de faire du Light Painting sur la voiture , Itaru est resté silencieux un long moment puis a fini par dire : “ C’est une bonne idée! “ J’ai fait euuu, mmm, OK !? Le simple fait d’avoir été spontanément naïf m’a rapporté le plus grand projet que j’avais fait jusque là. On a commencé en faisant du Light Painting sur une voiture miniature avec du papier aluminium dans le fond pour présenter le concept à Toyota.

Patrick Rochon (10)
© Patrick Rochon
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Ils ont aimé et m’ont proposé de faire un test sur une vraie voiture. Là j’ai eu vraiment peur, ils investissaient beaucoup d’argent et je ne savais pas si je pouvais le faire ou si c’était même possible. Au bout d’un moment, on a fait un essai en studio sur une autre voiture puis sur une Altezza, tous avec des appareils photos de format 4×5, prenant des photos avec 4 ou 5 appareils différents, dont un avec une pellicule Polaroid. J’utilisais le traitement croisé ( cross process) et un de mes tirage est sortit suffisamment bien pour que Toyota approuve notre test et donne le feu vert pour passer au niveau suivant. Puis nous avons fait un 2ème essai sur la vraie voiture (c’était top secret à ce stade), et c’est là que j’ai vraiment appris comment faire du Light Painting sur une voiture. L’équipe me donnait des informations clefs sur ma peinture de lumière et sur les reflets qu’elle faisait sur la voiture. C’était important de comprendre et de respecter sa forme et son design. Je pense qu’on a fait un shooting de 2 jours en studio. On a fait un travail simple et élégant. La lumière était épurée et forte. Quand on l’a présenté à Toyota ils ont dit que c’était bien mais que pour la prochaine fois ils voulaient mon ART. Ils voulaient que je passe au niveau supérieur. Je me suis dit “ils le veulent, ils vont l’avoir“. Je me suis super motivé pour le dernier shooting. J’étais prêt à exploser de lumière.

Patrick Rochon (11)
© Patrick Rochon
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Le jour du shooting, j’ai dansé intensément, la musique a fond, et j’ai fait du light painting sur et autour de la voiture comme si demain n’existait pas. On a fait a peu près 15 heures de light painting par jour, 3 jours de suite. Certains temps d’exposition ont pris jusqu’à 30 mn sans interruption en une seule prise. C’était magique. On a obtenu des résultats spectaculaires. Plus tard on a fini par exposer au Spiral Hall de Tokyo, on avait des livrets de cartes postales, des affiches dans le métro, des pages dans des magasines. On a même fait une vidéo promo de Light Painting dirigée par Keiichiro Mukai. Vous pouvez en voir une version éditée ici sur YouTube. Cette expérience Toyota a été un pic dans ma carrière, venant de la scène créative underground de New York aux lumières de Tokyo. Quelque chose de nouveau a vraiment été fait. Honnêtement, le succès de ce projet a été sa planification. Itaru, le directeur artistique, savait que c’était la première fois que quelque chose de la sorte était fait et il a dû élaborer un plan intelligemment. Une nouvelle route, un nouveau procédé, suffisamment de temps et d’espace pour le réaliser correctement.

Ça a pris plus d’un an pour que le projet aboutisse. J’ai dû attendre 6 mois pour l’accord initial, l’exécution, le premier oui et entre chaque shooting encore quelques mois pour chaque étape. Le processus était parfait et a donné lieu à de fabuleux résultats. Ce bond en avant m’a complètement changé en tant que peintre de Lumière, c’est une bonne chose d ‘être naïf parfois.

Patrick Rochon (7)
© Patrick Rochon
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Maintenant je suis de retour à Montréal, j’y construis ma base et je répands le Light Painting. J’utilise ce temps de transition pour passer de l’analogique au numérique. Je suis content d’avoir immédiatement les résultats et de ne plus avoir à attendre plusieurs jours qu’ils reviennent du labo. Moins de stress et plus de flexibilité. Le traitement croisé (cross process) a fonctionné pour moi à cette époque mais maintenant avec le numérique les résultats que j’obtiens avec la lumière sont plus proches de ce que mes yeux voient en réalité lorsque je shoot. Et aussi ça m’ouvre l’opportunité de retoucher sur Photoshop. Je peux me faire mon propre labo à la maison et peaufiner mon travail selon ma vision. C’est un moyen flexible qui a beaucoup d’avantages créatifs et commerciaux. Vous pouvez voir ici le travail que j’ai effectué depuis mon retour : new.

Patrick Rochon (13)
© Patrick Rochon
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L’histoire du Light Painting

Autorisez moi a partager avec vous l’histoire du Light Painting que j’ai rassemblé jusqu’à présent. L’origine du Light Painting, que j’appelle aussi l’art de bouger la lumière et qui est aussi connu sous l’appellation Graffiti de lumière, remonte à un moment déjà. L’artiste Man Ray en a fait en 1934, il doit bien être le premier. Le peintre Georges Mathieu a créé son propre style de peinture en utilisant une ampoule dans le noir, capturant le mouvement de ses mains en laissant un long temps d’exposition avec un appareil photo.

Patrick Rochon (8)
© Patrick Rochon
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Le photographe Gjon Mili a fait une celebre collaboration de Light Painting avec Picasso sur Le Centaure en 1949.L’artiste Eric Staller en a fait aussi. Troy Paiva fait des shooting la nuit depuis 1989, utilisant la lumière de la pleine lune et aussi l’œuvre de Dean Chamberlain est absolument remarquable.

Plus récemment, j’ai vu sur le web que beaucoup de nouveaux artistes émergeants utilisent le Light Painting. Je le vois comme une nouvelle forme d’art. En 2009, il y a eu sur mon site 24000 visites venant de plus de 130 pays différents. Le Light Painting est en pleine expansion. Un très bon ami New Yorkais, Aurora Crowley fait de superbes photos de mode en Light Painting. Un autre ami, Français cette fois, Julien Breton, fait de la Calligraphie lumineuse. On peut voir des nouvelles animations Japonaise de Light Painting intéressantes sur: pikapika. Il y a le street art de Marko 93 qui est a voir.

Vous pouvez aussi trouver plein de peinture de lumière en faisant une recherche sur Flickr. Et bien sûr sur mon site vous pouvez en voir plus de 100, montrées pour la première fois sur : Patrick Rochon.

J’espère vous avoir donné envie d’essayer par vous même.

Patrick Rochon (12)
© Patrick Rochon
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Photo de Stéphane Chabrier (8)
© Stéphane Chabrier
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Texte et photos suivantes par Stéphane Chabrier.

 

Ce Travail à été réalisé pendant 5 semaines entre Janvier et Mars 2009 auprès du centre d’éducation pour adultes Åsö Vuxengymnasium situé à Södermalm au cœur de Stockholm.

La vie commence en Suède avec SFI.

C’est précisément de cette phrase que mon idée du projet a commencé l’année dernière. Souvent pris pour le bouc-émissaire de la non-intégration des étrangers en Suède, S.F.I qui signifie « le suédois pour les immigrés » c’ est un organisme qui vise à donner aux immigrants adultes qui n’ont pas ou peu de base de lecture et d’écriture une initiation pour s’exprimer en suédois et une connaissance de la société suédoise pour appréhender le marché du travail.

Photo de Stéphane Chabrier (7)
© Stéphane Chabrier
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Né à la fin des années 60, cette organisme d’état était composé de professeurs qui se déplaçaient dans les entreprises pour enseigner le suédois à la main-d’œuvre étrangère des entreprises suédoises. Chaque commune doit dispenser des cours gratuits et non obligatoires. Depuis 1965, des réfugiés fuyants les conflits mondiaux; Chiliens en 1973, Libanais en1982, Bosniaques en 1994, Irakiens en 2003, mais aussi de Cuba, Somalie, Érythrée, Europe de l’est, Amérique du sud et kurdes se succèdent ou se sont succédés sur les bancs de S.F.I.

Les portraits en présence dans la série sont des immigrants hommes et femmes venant de plus de 35 différents pays entre 18 et 30 ans résidant en Suède depuis quelques mois seulement.

Après avoir présenté mon projet à la recteur de S.F.I et obtenu l’autorisation de photographier dans les locaux, j’ai présenté mon projet à chaque classe avec l’appui des professeurs intéressés par le projet. En expliquant ma démarche et le but de ces images.

Photo de Stéphane Chabrier (6)
© Stéphane Chabrier
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Moi-même ex-élève de S.F.I cela m’a considérablement aidé dans mon approche dans les classes et malgré les réticences de beaucoup par rapport à leur statut en Suède (certains immigrés ne sont pas en situation légale en Suède et refusent de participer pour ne pas apparaitre dans la série par peur de l’état suédois) les élèves étaient à l’écoute du projet malgré la barrière de la langue.

A mi-chemin entre deux cultures, parfois sans connaissance de la langue anglaise, la communication a pu s’avérer compliquée. Chaque classes contient de 25 à 30 élèves restant de 4 à 6 mois séparées en 2 niveaux C (débutants) et D (confirmés).

Photo de Stéphane Chabrier (5)
© Stéphane Chabrier
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Les cours sont donnés chaque jour soit le matin soit l’après-midi pendant 4 heures. Chaque classe à ses propres clans issus de la disposition des tables dans la salle, les tables rondes favorisent le travail en groupe et l’échange. A l’inverse les tables en rang alignées par deux ou par quatre cassent la dynamique de groupe et favorisent l’isolement ou le travail à deux. Chaque professeurs à une pédagogie propre qui a crée une dynamique positive envers le projet ou bien une méfiance voir une négativité planant sur la classe.

Photo de Stéphane Chabrier (4)
© Stéphane Chabrier
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Sur les quatre classes visitées deux ont acceptés ma présence et plus de 30 élèves ont acceptés de participer au projet. Les élevés peuvent arrêter S.F.I du jour au lendemain, il y a ainsi beaucoup de « turnover » de nouvelles têtes apparaissent et disparaissent ce qui n’a pas aidé à la bonne marche du projet. Je me suis donc appuyé sur des élèves présents chaque jours en observant la classe et en prenant rendez-vous avec les élèves et les professeurs avant ou après les cours. La journée se déroulait de la façon suivante : observation de la classe 1 entre 8 h et 10h30, 10h30-10h45 pause et dialogue avec les élèves, 12h-13h prises de vues dans la classe, 14h-17h observation de la classe 2. Le problème matériel principal était de ne pas pouvoir utiliser les salles de cours plus d’une heure par jour, les salles sont louées pour les cours S.F.I ce qui ne m’a pas permis de les avoir à disposition permanente. Le projet s’est clôturés par une exposition des meilleurs clichés dans les deux classes impliqués par le projet.

Photo de Stéphane Chabrier (3)
© Stéphane Chabrier
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J’ai voulu mettre en évidence les archétypes de S.F.I, saisir le ressenti immédiat et détailler les affections qui résultent de la difficulté d’insertion vécu par les classes du couloir D. Par les postures en présence, dépasser les images d’intégration idéalisées et faire jaillir une autre réalité, aborder la problématique de l’ouverture de soi et de l’assimilation d’une culture. Le projet évoque une réalité sociale et culturelle propre à la Suède, l’exploration d’une segment de la société suédoise inconnu, révèle le tournant affectif qui succède aux premiers mois de l’idéalisation de la terre d’accueil. Le pied tremble, la lecture est hasardeuse, le rythme lent.

Cette série présente les conditions de travail des élevés, les difficultés et la faculté d’un primo arrivant à apprendre la langue, à imiter une culture a se comporter avec de nouveaux repères. Vivre cette cohabitation entre son passé, son présent et son futur, après l’arrivée dans un monde étrange, ou la langue débloque la frustration et développe une double identité. Après 6 mois de séjour dans le pays d’adoption, le choc culturel est à son comble, l’anxiété, l’irritabilité ou encore le repli sur soi provoque un conflit mental, émotionnel et social. Avec la volonté d’oublier un passé difficile en imitant le citoyen suédois, le plus rapidement possible mais la plupart non pas le souhait de se transformer en suédois.

Photo de Stéphane Chabrier (2)
© Stéphane Chabrier
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La maitrise de la langue est alors une évidence, condamne ou encourage à se réinventer soi-même, à construire son rôle dans la société. Le propos est de montrer un visage méconnu de la Suède, Un monde à part, un lieu où de nombreuses nationalités se côtoient et vivent simultanément l’apprentissage de la langue suédoise. La pratique de la langue passe par l’imitation de sons caractéristiques qui exigent un effort de prononciation et de nuanciation conséquent. Les voyelles sont « apparentes » à l’inverse des consonnes déclenchent une expression spécifique du visage. Elles révèlent l’adoption de stéréotypes à l’égard de la Suède et des suédois, annoncent l’ajustement de l’individu au corps social. L’immigré montre le visage que autrui attend de lui, il colle à l’attente de la société pour être accepté et compris.

Photo de Stéphane Chabrier (1)
© Stéphane Chabrier
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