Camera Obscura » Eric Keller /fr A blog/magazine dedicated to photography and contemporary art Wed, 16 Sep 2015 12:05:21 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=4.3.1 Par les yeux de la Sibylle, par Eric Keller /fr/2011/sibylle-eric-keller/ /fr/2011/sibylle-eric-keller/#comments Wed, 06 Apr 2011 08:07:00 +0000 /?p=4389 Related posts:
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Eric Keller (16)
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Texte et photos suivantes de Eric Keller.

 

On me demande parfois pourquoi je me plais à répéter depuis des années, et sans me lasser, ce genre de photographies.

Il y a toujours plusieurs façons d’expliquer les choses.
En voici une.

Eric Keller (15)
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Adolescent, je dessinais beaucoup. A la plume trempée d’encre de Chine, je couvrais le papier de formes, d’arabesques et de hachures dont émergeaient des corps, des chevelures.

Un jour, en feuilletant une encyclopédie, j’ai été arrêté par la reproduction d’un tableau : sous mes yeux, dans le décor à peine esquissé d’un palais oriental, évoluait une gracieuse reine, ou une prêtresse.

Eric Keller (14)
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Sur son corps pâle, presque nu, mais paré de lourds bijoux, le peintre avait fait courir un délicat entrelacs de signes et de symboles.

L’attitude hiératique de la danseuse en faisait une idole sacrée.

Il s’agissait d’une Salomé de Gustave Moreau. Cette scène peinte synthétisait en une seule image une représentation du corps féminin tel que je le cherchais dans mes dessins et des éléments de mon environnement. Dans les voûtes et les colonnes aux allures byzantines, je retrouvais les perspectives aperçues dans certaines usines de ma ville natale, ainsi que leurs couleurs de rouille et d’oxydes, de l’ocre-rouge au noir.

Eric Keller (13)
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Huysmans, dans A rebours décrit bien mieux que moi le pouvoir envoûtant des différentes versions de ce tableau (qui se mélangent dans ma mémoire). J’y trouvais pour ma part une correspondance évidente avec mes préoccupations, comme plus tard dans la poésie de Baudelaire, puis dans les mélopées de Lisa Gerrard.

Eric Keller (12)
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A peu près à la même époque, en visitant le musée municipal, j’ai découvert, installée à la croisée des allées de sombres tableaux de maîtres flamands – telle une princesse empoisonnée, assoupie dans sa châsse de cristal au milieu d’une clairière – la momie d’une jeune prophétesse perse.

De cette rencontre inattendue, je garde le souvenir de sentiments de répulsion et d’attirance mêlés.

Eric Keller (11)
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La vue de ce corps à la chair desséchée, plus impressionnant qu’un squelette, était cauchemardesque, avec sa peau parcheminée, enduite de goudron et tachetée de restes de feuille d’or.

Cependant, je ne pouvais m’empêcher de trouver émouvants ces crins filasses, qui avaient dû, jadis, s’étaler en mèches souples et luisantes, et encadrer un visage charmant.

J’en contemplais le rictus calciné, les rides effrayantes découvrant un sourire obscène de goule.

Le cadavre reposait tel qu’on l’avait trouvé, allongé sur un lit de feuilles séchées, précieuses comme des joyaux éparpillés.

Penché sur le cercueil de verre, je songeais à l’existence de cette déesse païenne, à ses rituels et à ses chants, à ses transes divinatoires.

Une Sibylle de l’âge de bronze privée de sépulture.

Eric Keller (10)
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Il y a une quinzaine d’années, j’ai ramassé sur une berge de la Seine des lamelles de métal rouillé, aux bords dentelés par l’oxydation. Je les ai assemblées et j’ai décoré l’ensemble avec des pièces d’un bijou ancien, pour en faire une sorte de casque.

Eric Keller (9)
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Lorsque je l’ai placé sur la chevelure du modèle, je me suis trouvé transporté dans le palais oriental, face à la Salomé de Moreau, soeur de la vestale embaumée.
L’image que j’en ai tirée m’a fait prendre une direction dont je m’écarte peu depuis.

Eric Keller (8)
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A partir d’éléments disparates glanés dans la nature, découverts dans les brocantes et de métal que je grave, je confectionne des coiffes et des bijoux dont je pare presque toujours les personnes qui posent pour moi.

Évidemment, ces artifices ne sont pas indispensables. Chaque corps raconte à lui seul une histoire et peut se suffire à lui même.

Cependant, un simple accessoire est capable de modifier le sens de ce que l’on voit, de transporter ailleurs.

Eric Keller (7)
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Ce sont bien souvent les éléments qui les composent qui m’ont inspiré les parures. Un fragment de bijou, une paire de cornes d’antilope découverts au petit matin au fond d’une caisse, à l’étal d’un vide-grenier, et déjà un projet s’échafaude. En archéologue qui vient d’exhumer un trésor, je me penche sur ces objets abandonnés, je les soupèse, les interroge, je les examine sous tous les angles et j’évalue leur potentiel.

Eric Keller (6)
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J’aime particulièrement les matériaux bruts, corrodés, les objets patinés qui ont « vécu ». Le clinquant, ce qui sent le neuf me déplaît.

Le fait-main a une grande valeur pour moi.

Est-ce pour cette raison que je continue à réaliser moi-même mes tirages à l’agrandisseur ?

J’ai un goût prononcé pour les objets empreints de magie, composés de fibres de végétaux, de cheveux, d’os, de crânes d’animaux noircis par la fumée, incrustés de boue séchée, qui proviennent d’Afrique ou d’Océanie. Symboles païens, animistes, talismans, amulettes, fétiches, totems. Ceux la même qui, malgré la protection de la vitrine d’exposition d’un musée, dégagent des fluides puissants, évocateurs d’arcanes oubliés, de rites sauvages, de cérémonies venues du fond des âges.

Eric Keller (5)
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J’envisage des assemblages, je prévois les questions techniques qu’il faudra résoudre pour que l’ensemble tienne en équilibre, ne se déforme pas et présente un résultat harmonieux.

Sur mes carnets j’improvise des esquisses pour me figurer l’allure de l’objet qui va naître et donner une nouvelle vie à mes trouvailles.

Lorsque le projet est cohérent, je commence à découper, graver, coudre.
Peu à peu la coiffure prend forme. Elle viendra bientôt couronner une nouvelle souveraine et créer un écrin pour son visage.

Eric Keller (1)
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Même si mes images montrent des corps nus, c’est au visage que va en premier lieu mon intérêt.

Toujours attentif, dans la rue, dans les transports en commun, je scrute le visage des gens qui m’entourent. Je cherche le merveilleux derrière l’ordinaire.

Dans un endroit des plus banals, un profil éclairé par la lumière d’un vulgaire néon me saisit, me fascine comme une œuvre d’art. Alors, je déplore de ne pas maîtriser le pouvoir d’arrêter le temps pour l’examiner à loisir, comme on peut admirer une sculpture.
J’éprouve même de la peine quelquefois à ne pouvoir retenir, garder une trace des chefs d’œuvre que je croise et qui replongent aussitôt dans le néant.

En cela, chaque photographie est une victoire, une revanche contre l’oubli, contre l’intolérable disparition de ce qui est beau.

Il me semble que l’atmosphère sombre de mes images n’est que le reflet du trouble que je ressens devant la beauté et l’impossibilité de la saisir dans sa totalité. L’échec inévitable de sa possession.

Eric Keller (4)
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Au cours de la séance, le buste rehaussé de colliers et les poignets cerclés de bracelets, le modèle est transfiguré et devient une pythie, un succube, une amazone, Judith, Lucrèce.

Chacune me prête sa grâce. Unique pour chacune.

Je ressuscite la chamane défunte et elle évolue devant moi, reprend ses poses stylisées, ses gestes codés et sa danse incantatoire.

Elle me fixe à travers le temps, de ses yeux transparents.

Son corps dénudé est une arme blanche. Comme une lame débarrassée de son fourreau il est éblouissant, fascinant, dangereusement beau.

Je suis le témoin de cette réincarnation et je tente d’en saisir les manifestations, à la façon d’un spirite qui aurait invoqué un spectre.

Eric Keller (3)
© Eric Keller
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Bien sûr, avec le temps, mon imaginaire s’est enrichi d’autres influences, d’autres références et j’ai exploré d’autres sujets, mais mon inspiration me ramène toujours vers les mêmes rivages crépusculaires peuplés d’apparitions.

 

Pour plus d’informations à propos de Eric Keller et son travail lisez l’article déjà paru sur Camera Obscura ce qui est écrit dans la main de mon père ou visitez son site personnel :Eric Keller.

Eric Keller (2)
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Ce qui est écrit dans la main de mon père, par Eric Keller /fr/2011/eric-keller/ /fr/2011/eric-keller/#comments Sat, 12 Feb 2011 08:40:04 +0000 /?p=4358 Related posts:
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Photo de Eric Keller (12)
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Texte et photos suivantes de Eric Keller.

 

Je me demande parfois à quoi ressembleraient mes photographies si j’étais né ailleurs qu’à Dunkerque.

Lorsque j’étais enfant, nous allions attendre mon grand-père à la sortie des chantiers navals. Mes grands parents paternels étaient polonais, immigrés en France au début des années 30. Aujourd’hui encore, je me souviens des légendes de Pologne, d’Ukraine, de Lituanie, d’aventures vécues dans leur enfance aussi, qu’ils me contaient dans un français ponctué d’expressions dans leur langue natale. Leur accent enrobait leurs histoires d’un mystère supplémentaire.

Karol Keller était grutier au quai d’armement des bateaux. Avant l’ouverture des portes, nous nous installions en surplomb de l’immense chantier, sur une haute dune creusée d’abris et de souterrains datant des dernières guerres. Nous prenions soin d’éviter les cheminées d’aération, profondes comme des puits qui s’ouvraient au ras du sol, sans protection, cachées par les herbes.

Photo de Eric Keller (11)
© Eric Keller
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Le regard embrassait le port, se perdait à l’horizon, sur la mer grise, au delà du phare et de la jetée. Nous contemplions, depuis notre promontoire, le fourmillement humain autour de la coque en construction.

Fumées, gerbes d’étincelles, arcs électriques aveuglants trouaient la carcasse gigantesque d’où s’élevait une lourde rumeur ponctuée de chocs et de grincements.

La grue que manœuvrait mon grand-père dominait cette agitation. Je l’observais alors qu’elle soulevait des charges, avançait, virait, comme un grand jouet.

Enfin, lorsque après des mois de travail, la coque était achevée, on la faisait glisser en grande cérémonie dans le bassin dont le mastodonte d’acier affolait les eaux troubles en vagues énormes. C’était comme un monstre marin capturé par les hommes et dompté par des remorqueurs au bout de câbles d’acier tendus.

Photo de Eric Keller (10)
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Il arrivait aussi qu’en s’aventurant au bord des cales sèches, on puisse approcher l’un de ces Léviathan dont les hautes parois rouillées évoquaient un Moby Dick prisonnier dans la cage d’un zoo.

Comme la peau épaisse d’un pachyderme centenaire, la tôle portait des traces de blessures, infligées par l’eau salée de tous les océans du monde.

Sur la peinture écaillée, rongée par la rouille, on devinait le nom du vaisseau, tracé en cyrillique ou en idéogrammes asiatiques et on s’interrogeait sur les hasards qui l’avaient mené jusque là.

Sous la ligne de flottaison, les mollusques incrustés dessinaient des chaînes de volcans, des cordillères des Andes.

Karol avait entrepris de fabriquer un modèle réduit de sa grue, auquel il apportait des améliorations techniques. Combien d’heures avons-nous passées, mon frère et moi dans son atelier sombre et poussiéreux, jonché de copeaux de bois, à le regarder assembler et souder minutieusement les pièces de laiton qu’il avait découpées !

Nous l’imitions en manipulant maladroitement de nos petites mains ses merveilleux outils patinés et polis par l’usage.

Photo de Eric Keller (9)
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Très souvent, les dimanches, nous parcourions en famille, en de longues promenades, les dunes et la vaste plage qui étale son interminable ruban de sable, au delà de Zuydcoote, vers la Belgique.

De leurs orbites noires, tournées vers la mer, les blockhaus suivaient notre progression.

Quels songes douloureux ces crânes de béton abritaient-ils ?

Ne chuchotaient-ils pas dans le vent du Nord ?

Si une tempête nocturne déplaçait le sable et exhumait les flancs de l’un de ces titans, surpris, nous le découvrions au détour d’un chemin cent fois parcouru, ignorant qu’il se tenait enfoui si près de nous.

Photo de Eric Keller (8)
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Ces colosses de béton, ravinés, lézardés, mutilés, basculés, étaient nos mystérieux temples d’Angkor, nos géants de l’île de Pâques, les inquiétants vestiges d’une civilisation disparue.

Certains soirs d’hiver, longeant ces ruines étranges, nous restions stupéfaits devant leur lourde silhouette, plus opaque que la nuit, comme des trous noirs dans l’espace.

Tandis que les cheminées de l’aciérie des dunes les empanachait d’épaisses fumées pourpres, l’acier en fusion jailli des hauts fourneaux incendiait les nuages mouvants et les couronnait d’auréoles de feu.

Photo de Eric Keller (7)
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Des voies de chemin de fer longeaient l’extrémité de notre jardin.

Jour et nuit, des convois de hauts wagons aux flancs déformés approvisionnaient en métaux une usine des environs.

Ainsi cheminait lourdement l’offrande à un Moloch constamment affamé que nous entendions parfois hurler au delà des bois.

Repu, il exhalait des fumées qui déroulaient des intestins rougeâtres dans le ciel.

Photo de Eric Keller (6)
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Nous nous endormions le soir, bercés par les manœuvres des machines, par les longs crissements des freins et les brefs coups de sirènes étouffés, dans la lueur orange des gyrophares reflétée par les murs de notre chambre.

Photo de Eric Keller (5)
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Alors que nous nous tenions postés près des rails, défilaient des chargements de débris de toutes sortes que nous tentions d’identifier.

Mais, de temps à autre, au lieu de ces amas rouillés, des engins plus curieux encore avançaient en procession : la motrice tractait lentement une longue chenille de citernes renfermant de l’acier en fusion, un nectar brûlant dont la chaleur faisait fondre la neige sur tout le trajet et nous faisait reculer à son passage.

Par la fente de chaque couvercle brillait un iris de magma chauffé à blanc. Paupière mi-close d’un cyclope.

Craintifs, nous le sentions prêt à s’éveiller et à déverser ses tentacules de lave en une terrible éruption.

Ce spectacle croisait dans mon imagination les délires graphiques de Druillet, les visions infernales de Bosch et les évocations d’entités telluriques pré-humaines de Lovecraft.

Si un cheminot apparaissait sur le train, nous nous étonnions de sa présence, tant ces machines nous semblaient autonomes et animées d’une puissance propre.

Nous nous figurions une attraction magnétique, qui, au gré de ses inversions provoquait le flux et le reflux de ces pesantes caravanes.

Au milieu des années 80, j’ai débuté cette série d’images du port de Dunkerque. C’était l’époque où l’on commençait à démanteler les chantiers navals. Alors que j’examinais les poutrelles amputées de grues découpées au chalumeau – des enchevêtrements noircis d’une étonnante majesté – j’ai compris qu’une époque était révolue et que ces lieux que j’aimais étaient en train de disparaître.

Photo de Eric Keller (4)
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Un après midi, j’ai photographié mon père sur l’un des quais de déchargement.

A l’approche de la soixantaine, il avait fait retravailler le tatouage qu’il avait depuis longtemps sur le poignet. Un tatoueur d’Ostende en avait harmonisé les formes et y avait ajouté des couleurs. Puis, successivement, les dessins à l’encre lui ont couvert les deux bras, le dos et le torse. Chacun constituait pour lui un symbole intime.

Photo de Eric Keller (3)
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Il connaissait bien le port, son métier de routier l’y amenait souvent. D’une certaine façon, ces lieux lui ressemblaient.

La photo de sa main : mieux qu’un portrait, cette image le renferme tout entier.

Il était à la fois le secret caché au creux de sa paume, la violence contenue, la menace du poing serré et la caresse tendre, dont je crois encore sentir le contact rêche.

Inutile d’être chiromancien pour lire les tourments inscrits plus profondément que ses tatouages dans ses doigts déformés, l’ongle fendu et l’annulaire sectionné.

Étrangement, la main de sa mère présentait la même cicatrice et ce manque douloureux les reliait plus sûrement que la marque du cordon ombilical.

Photo de Eric Keller (2)
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A chaque fois que j’écoute The writing on my father’s hand de Dead Can Dance, j’associe la voix puissante et mélancolique, portée par la mélodie ténue et fragile, à l’image de ce poing fermé qui s’abandonne.

C’est tout près de l’endroit où, confiant et complice, il s’est prêté de bonne grâce à mes indications, qu’il a, un soir de novembre, renoncé à vivre.

Comme dans les bunkers de la côte qui gardent tant de souvenirs, sur les quais déserts je cherche aussi des fantômes.

 

Pour plus d’informations à propos de Eric Keller et son travail lisez l’article déjà paru sur Camera Obscura Par les yeux de la Sibylle ou visitez son site personnel :Eric Keller.

Photo de Eric Keller (1)
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